Pelegrina flaviceps (Kaston 1973)

Pelegrina flaviceps (Kaston 1973)

Par Isabelle GAREAU et Jules DUMOTIER

Texte et figures (sauf si indiqué) CC BY-SA 2018, par les auteurs.


Classification

Ordre: Araneae

Sous-ordre: Araneomorphae

Famille: Salticidae

Sous-Famille: Dendryphantines

Genre: Pelegrina

Espèce: Pelegrina flaviceps


Identification et morphologie 

Évènement de collecte 

Le spécimen a été collecté, le 6 septembre 2018, sur une plante du fossé bordant le Chemin du Lac Croche menant à la Station de biologie des Laurentides ( 45°98’62 » N -74°00’61 » W) à l’aide d’un filet fauchoir par Isabelle Gareau et Jules Dumotier.

Famille

On reconnaît les membres de la famille des Salticidae par leurs chélicères labidognathe (où les crocs sont positionnés perpendiculairement à la ligne médiane de l’individu de façon à ce que les pointes des crocs pointent l’une vers l’autre) et la taille de leurs yeux médians antérieurs qui sont particulièrement plus larges que les autres (Gloor et al. 2010).

Figure 1. Chélicères labidognathes

Genre

L’identification du genre Pelegrina est plutôt difficile sans la dissection du genitalia. On notera tout de même que le tibia 1 est garni de trois paires d’épines et que le rami du genitalia mâle a une forme de « crochet » plutôt reconnaissable (Maddison W.P. 1996).

Figure 2. Le tibia 1 du spécimen collecté de Pelegrina flaviceps et ses 3 paires d’épines. Photo prise avec un appareil visuel grossissant ZEISS.
Figure 3. Genitalia mâle type de Pelegrina

Autrefois placée dans le genre Metaphidippus, cette espèce appartient maintenant au genre Pelegrina. Ce malentendu s’explique par la compréhension encore brumeuse des relations entre les genres de la sous famille des Dendryphantidae. Par contre, il est clair que le genre Metaphidippus, tel qu’il était défini par le passé, est polyphylétique (Maddison, W.P. 1996). Plusieurs groupes furent donc retirés des Metaphidippus parmi lesquels un groupe de 21 espèces sera placé dans le genre Pelegrina, dont Pelegrina flaviceps fait partie (Maddison, W.P. 1996).

Espèce

Pelegrina flaviceps a été décrite pour le première fois en 1973 par l’arachnologiste américain B. J. Kaston dans son article intitulé Four New Species of Metaphidippus, with Notes on Related Jumping Spiders (Araneae: Salticidae) from the Eastern and Central United States.

L’identification de Pelegrina flaviceps fut effectuée à partir deux clefs d’identification des araignées d’Amérique du Nord et du Québec (Ubick & al., 2005; Paquin & Dupérré, 2003). Il est à noter que nous avons eu certaines difficultés avec l’utilisation des clefs où, dans certaines situations, nous semblions être dans une impasse. Afin de nous aider à surpasser cette contrainte, nous avons disséqué le genitalia mâle qui, à première vue, peut sembler similaire à celui de Pelegrina flavipes, mais possède tout de même quelques différences observables (Figure 5 et 6). On notera toutefois que l’individu présent est d’une couleur brunâtre avec des rayures noires et blanches, notamment deux rayures blanches sur les côtés du prosome et une bande blanche au centre de l’opisthosome. Les mâles mesurent en moyenne entre 3,6 et 4,5 mm et les femelles entre 4,0 et 5,7mm (Kaston, 1973). 

Figure 4. Spécimen de Pelegrina flaviceps (mâle). Photo prise avec un appareil grossissant ZEISS.
Figure 5. Genitalia mâle de Pelegrina flaviceps. Photo prise avec un appareil grossissant ZEISS.

Où est Pelegrina flaviceps?

Les sources concernant la distribution de cette espèce sont actuellement très incomplètes, voire insuffisantes, ce qui ne nous permet pas de délimiter une aire géographique précise de Pelegrina flaviceps. En effet, selon la source étudiée, l’aire de répartition de cet espèce peut varier et ce pour les mêmes années inventoriées.

Figure 6. Distribution géographique approximative des observations faites de Pelegrina flaviceps selon Prószyński (2016), Maddison (1996) et Kaston (1973). Image éditée par Isabelle Gareau.
Figure 7. Distribution géographique approximative des observations faites de Pelegrina flaviceps selon le Global Biodiversity Information Facility (2017). Image éditée par Isabelle Gareau.

Il est certain, selon ces deux cartes, que Pelegrina flaviceps se retrouve dans le sud-est du Canada et dans la partie nord-est des États-Unis, mais davantage de recherches devront être faites afin de confirmer l’étendue de sa distribution. Ces régions correspondraient aux régions écologiques des forêts  septentrionales et des forêts tempérées de l’Est (CCE, 1997).


Le monde fascinant des Salticidae

Qui est Pelegrina flaviceps?

Suite au premier défi que représentait l’identification d’une Salticidae, un deuxième défi nous attendait : trouver les informations concernant le mode de vie, le cycle de vie et l’écologie générale de Pelegrina flaviceps. Malheureusement, après quelques heures de recherche, aucune ressource n’a été trouvé, confirmant une lacune au niveau de la littérature scientifique pour cette espèce pourtant commune en Amérique du Nord. Toutefois, la découverte plutôt récente de cette espèce en 1973 pourrait expliquer ce manque d’informations. Ainsi, essayons de voir ce que pourrait être Pelegrina flaviceps au travers des caractéristiques des Salticidae. 


Un système visuel unique!

On compte plus de 5 000 espèces de Salticidae ce qui fait de cette famille la plus diverse de toutes les Araneae. Ceux-ci ont une des visions les plus précises de tous les invertébrés (Maddison, 2011), vision qui est d’ailleurs une synapomorphie de ce groupe (Maddison & Hedin, 2003). Leurs yeux sont groupés en deux groupes : 4 à l’avant de la tête et 4 au dessus. Les deux plus grands (les yeux médians antérieurs (AME)) jouent un rôle homologue à celui de notre fovéa permettant une vision très précise dans un champs visuel rétréci et les 6 autres yeux permettent une vision périphérique moins nette (Maddison, 2011). Pour pouvoir traquer sa proie le mieux possible, l’araignée sauteuse doit donc la garder dans le champ de vision réduit de ses deux AME ce qui ne peut pas être fait en bougeant leurs yeux dans leurs orbites, puisque les lentilles des araignées font partie de leur carapace, ce qui les rend immobiles. L’araignée sauteuse devra donc bouger sa carapace, comportement pouvant alerter la proie de sa présence. Cependant, la Salticidae ayant plus d’un tour dans son sac, des muscles spécialisés lui permettent de bouger directement la rétine de ses AME pour éviter d’être détectée (Maddison, 2011). La structure de la rétine des AME en elle-même est unique : elle est constituée de plusieurs niveaux permettant de compenser pour d’éventuelles aberrations chromatiques (Richman & Jackson, 1992). Grâce à une lentille située juste devant la rétine, le système visuel des Salticidae devient un outil doté d’un grand pouvoir de résolution et de discrimination (Figure 8). Avec ces caractéristiques, il n’est pas étonnant que la vision ait été un facteur évolutif important chez ce groupe, tant au niveau de la chasse que de la sélection sexuelle, et pourrait expliquer pourquoi plusieurs Salticidae ont des patrons complexes de couleurs (Richman & Jackson, 1992).

Figure 8. Structure interne des yeux médians antérieurs des Salticidae

Des stratégies de prédation de pointe

La plupart des Salticidae sont diurnes, caractéristique rare chez les araignées, mais concordant avec leur système visuel unique. Un certain comportement de chasse est observé chez les représentants de cette famille qui sont, pour la majorité, carnivores (Richman & Jackson, 1992):

  1. L’individu aligne son abdomen avec son céphalothorax et commence à ramper lentement vers la proie, un peu à la manière d’un chat.
  2. Lorsque l’individu est près de la proie, il s’immobilise en abaissant son corps et saute ensuite sur la proie.

Deux méthodes de recherches de proies existent chez les Salticidae. Une méthode plus passive, où l’araignée se positionne à un endroit et scrute son environnement à la recherche d’une proie, et une méthode plus active, où l’araignée va se déplacer à la recherche d’une proie jusqu’à en trouver une (Richman & Jackson, 1992). Les Salticidae peuvent utilisées des détours lors de la poursuite d’une proie, en la perdant de vue temporairement, et tout de même réussir à l’attraper. Ce comportement suggère certaines capacités à résoudre des problèmes chez ces araignées (Richman & Jackson, 1992). Bien sûr, vu la diversité de cette famille, il existe un nombre incalculable de stratégies de prédation adaptées au type de proie chassée et la majorité des Salticidae auront plus d’une seule stratégie, dépendant de la proie, de la circonstance ou même de l’environnement au moment de la chasse (Richman & Jackson, 1992).


Alors on danse?

Le système visuel des Salticidae a contribué à un dimorphisme sexuel chez presque toutes les espèces de cette famille. En effet, ayant une vision permettant de voir un spectre de couleur vaste, allant du rouge au rayons U.V. (Lim & Li, 2006), et pouvant détecter le moindre mouvement, une forte pression de sélection a été faite sur les mâles, les amenant à développer un patron de couleurs vives et/ou des rituels de danse complexes (Masta & Maddison, 2002). Chaque espèce possède son propre répertoire de comportement pour l’accouplement et la taille de chaque répertoire peut varier d’une espèce à l’autre (Richman & Jackson, 1992). Ainsi, avec leur petite taille, leurs grands yeux ainsi que les couleurs vives et les danses effrénées de certaines espèces tropicales, on comprend aisément pourquoi les Salticidae sont devenues la cible d’un certain engouement du public, conquis par leur côté mignon.

Par contre, le processus d’accouplement ne se limite pas qu’aux stimuli visuels. En effet, les Salticidae ont plusieurs techniques de communication qu’elles utilisent avec leur partenaire potentiel: la communication tactile, par stridulation, par vibrations faites sur une toile ou encore par phéromones qui seront captés par des chimiorécepteurs chez le sexe opposé (Richman & Jackson, 1992)Ce qui est intéressant, c’est que tout comme les comportements de prédation, les stratégies liés à la reproduction vont dépendre des conditions environnantes. Ainsi, selon l’endroit où est située la femelle et sa maturité, différentes stratégies vont être utilisées (Richman & Jackson, 1992). Ci-dessous, un exemple de la stridulation chez les Salticidae:

Si la femelle est satisfaite de la prestation du mâle, elle le laissera insérer ses pédipalpes dans son appareil reproducteur afin qu’il y dépose sa semence et le mâle, une fois la chose faite, repartira vite afin d’éviter de se faire consommer par la femelle (Foelix, 1982, p.194).


Il m’a mise enceinte, quoi faire maintenant?

Quelques semaines après la copulation, la femelle est prête à pondre ses centaines d’œufs et produire le cocon de soie dans lequel ils seront installés, les empêchant ainsi d’être exposé directement à l’environnement (Foelix, 1982, p.200). Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les œufs ne sont fertilisés qu’au moment où ils sont déposés dans le cocon, le sperme ayant été entreposé dans les réceptacles séminaux antérieurement. Avec la ponte des œufs vient un liquide visqueux qui, une fois séché, cimentera les œufs ensemble (Foelix, 1982, p.200). Pendant ce temps, la majorité des femelles de Salticidae vont prendre soin de leur descendance, que ce soit en défendant le cocon, en prenant soin des nouveaux-nés ou encore, plus rarement, en les nourrissant directement. Lorsque les œufs éclos, les jeunes araignées correspondent à une version miniature de leurs parents (Foelix, 1982, p.205-206) qui grandira peu à peu à travers une série de mues jusqu’à devenir mature. Le nombre de mues dépendra alors de la taille finale de l’individu, un individu adulte d’une espèce plus petite sera passé à travers moins de mues qu’un individu d’une espèce généralement plus grande (Foelix, 1982, p.220). Malheureusement, le cycle de vie des araignées n’a été étudié que pour quelques espèces, d’où une description un peu général de leur développement.


Références

CCE. (1997). Les régions écologiques de l’Amérique du Nord : vers une perspective commune. Section des communications et de la sensibilisation du public du Secrétariat de la Commission de coopération environnementale. Montréal, QC. 70 p.

Foelix, R. F. (1982). Biology of spiders. Harvard University Press, Cambridge, MA.

Gloor, D., Blick, T., Nentwig, W., Kropf,  C. & Hänggi, A. (2010). Spiders of Europe. Site: https://araneae.nmbe.ch/key

Jocqué, R., & Dippenaar-Schoeman, A. S. (2007). Spider Families of the World. Musée royal de l’Afrique centrale.

Kaston, B. J. (1973). Four New Species of Metaphidippus, with Notes on Related Jumping Spiders (Araneae: Salticidae) from the Eastern and Central United States. Transactions of the American Microscopical Society. 92: 106.

Lim, M. L., & Li, D. (2006). Extreme ultraviolet sexual dimorphism in jumping spiders (Araneae: Salticidae). Biological Journal of the Linnean Society, 89(3), 397-406.

Maddison, W. P. (2011). Salticidae. Jumping Spiders. Version 12 October 2011 (under  construction). http://tolweb.org/Salticidae/2677/2011.10.12 in The Tree of Life Web Project, http://tolweb.org/

Maddison, W.P. (1996). Pelegrina franganillo and other jumping spiders formerly placed in the genus Metaphidippus (Araneae: Salticidae). Bulletin of the Museum of Comparative Zoology. l54(4): 215-368.

Masta, S. E., & Maddison, W. P. (2002). Sexual selection driving diversification in jumping spiders. Proceedings of the National Academy of Sciences, 99(7), 4442-4447.

Paquin, P. & Dupérré, N. (2003). Guide d’identification des Araignées (Araneae) du Québec. Fabreries, Supplément 11. 251 pages.

Pelegrina flaviceps (Kaston, 1973) in GBIF Secretariat (2017). GBIF Backbone Taxonomy. Checklist dataset https://doi.org/10.15468/39omei accessed via GBIF.org on 2018-10-27.

Prószyński, J. (2016). Monograph of the Salticidae (Aranea) of the World 1995-2015. Part II. Global Species Database of Salticidae (Aranea). Version du 30 octobre 2016, en ligne au http://www.peckhamia.com/salticidae/salticidae.php . Consulté le 27 octobre 2018.

Richman, D. B., & Jackson, R. R. (1992). A review of the ethology of jumping spiders (Araneae, Salticidae). Bulletin of the British arachnological Society, 9(2), 33-37

Ubick, U., Paquin, P., Cushing, P. E. & Roth, V. (eds). (2005). Spiders of North America: an identification manual. American Arachnological Society. 377 pages.