Bombus ternarius (Say 1837)

Bombus ternarius (Say 1837)

Par Sandrine BÉLANGER et Philippe LAREAU

Texte et images ©2017 CC BY-SA 4.0, les auteurs, sauf où autrement indiqué

La première description de Bombus ternarius Say 1837 a été faite en Nouvelle-Écosse, au Canada. L’origine du nom de l’espèce est assez simple, car le terme latin ternarius signifie trois fois. Ce terme fait référence au caractère tricolore du bourdon soit le jaune, le noir et l’orange.

Classification

Ordre : Hymenoptera

Sous-ordre : Apocrita

Infra-ordre : Aculeata

Superfamille : Apoidea

Famille : Apidae

Sous-famille : Apinae1

Genre : Bombus

Sous-genre : « Pyrobombus » paraphylétique dû aux Pressibombus2

Espèce : B. ternarius Say 1837

Morphologie de l’espèce 

Diagramme du corps du bourdon. Image : Colla, S., Richardson, L., Williams, P. Bumbles bees of the eastern United States, Guide d’identification produit par le Département d’agriculture des États-Unis et du Pollinator Partnership, 2011. L’image a été traduite et modifiée en français par les auteurs du blog. Utilisation de la photo avec la permission des auteurs du Guide.
Diagramme de la tête d’un bourdon. Image : Colla, S., Richardson, L., Williams, P. Bumbles bees of the eastern United States, Guide d’identification produit par le Département d’agriculture des États-Unis et du Pollinator Partnership, 2011. L’image a été traduite et modifiée en français par les auteurs du blog. Utilisation de la photo avec la permission des auteurs du Guide.
Diagramme de la patte d’un bourdon. Image : Colla, S., Richardson, L., Williams, P. Bumbles bees of the eastern United States, Guide d’identification produit par le Département d’agriculture des États-Unis et du Pollinator Partnership, 2011. L’image a été traduite et modifiée en français par les auteurs du blog. Utilisation de la photo avec la permission des auteurs du Guide.

Identification de l’espèce

L’espèce a pu être identifiée grâce à plusieurs caractéristiques :

  • L’espèce possède deux bandes orangées sur son abdomen en position T2 et T3 («T» pour tergum, ou dos). Elle possède une bande jaune en T4 et le reste de son abdomen est noir en T5 et T6. La section T1 devrait être jaune, mais le spécimen recueilli a perdu du poil au niveau de cette région et des touffes de poils jaunes apparaissent seulement sur les côtés.1

  • Au niveau de son thorax, ses deux ailes sont rejointes par une bande noire poilue cerclée de poils jaunes. Le motif forme un V qui descend jusqu’à son abdomen. Cette caractéristique est très distinctive et permet de départager l’espèce avec Bombus rufocintus qui n’a pas ce motif en V.
  • Sur sa tête majoritairement noire, il y a des régions de poils jaunes ou un peu grisâtres comme on peut le voir plus clairement sur l’image ci-dessous. Aucun Bombus ternarius n’a la tête entièrement noire.1

  • Bombus ternarius peut être confondu avec Bombus bifarius si ce n’est qu’il possède des régions noires sur la bande T2 et que son habitat est plus au nord du Canada. L’aire de répartition est donc un très bon indice pour départager certaines espèces qui lui ressemblent.

Cycle de vie et reproduction

Il faut savoir que l’eusocialité des hyménoptères apporte une certaine complexité au cycle de vie de ces insectes. En effet, le bourdon des milieux tempérés a un cycle de vie annuel. Ce cycle de vie est basé sur le fait que durant une certaine période de l’année, l’environnement est plus aride et les conditions de vie sont plus difficiles. Alors, durant cette période, les bourdons vont hiberner dans un trou sous le sol, représenté par le point 1 du schéma du cycle de vie. Par contre, les seuls bourdons à pouvoir survivre l’hiver sont les gynes. En effet, les anciennes reines, les ouvrières et les mâles vont mourir avant de début de l’hiver. Les gynes sont les futures reines, soient des femelles fécondées.4

Au Québec, c’est au printemps que les reines sortent du sol, représenté par le point 2. Cette période de fin de la diapause varie en fonction des différents environnements. En effet, plusieurs facteurs affectent la fin de l’hibernation comme la photopériode, la nourriture, l’humidité et la température. Parfois, même pour des milieux très près et relativement semblables, la fin de l’hibernation de deux populations d’une même espèce peut varier de plusieurs mois. 3

Dès que la gyne est devenue active, elle entreprend de trouver un endroit pour construire son nid. La nidification est représentée par le point 3 du schéma. Ce lieu doit être isolé et assez grand, parfois sous-terre, au sol et même en hauteur. Une fois l’emplacement trouvé, la reine va construire deux cellules de cires. Dans l’un elle va pondre de 5 à 20 œufs et dans l’autre la gyne va entreposer du nectar. Après, la reine doit incuber ses œufs jusqu’à ce qu’ils deviennent des larves après 3 à 5 jours. Elle doit aussi nourrir les larves avec du nectar et du pollen préalablement mis dans les cellules avant. Ses oeufs vont passer au stade larvaire et vont se transformer en nymphe en se construisant un cocon après 7 ou 8 jours suite au stade larvaire. Entre 12 à 14 jours sont nécessaires pour que les nymphes deviennent des ouvrières adultes. Après plus de trois semaines, les premières ouvrières commencent à aider la reine.4

Le point 4 du cycle de vie représente les ouvrières qui vont butiner pour récolter plus de nectar et plus de pollen pour incuber et nourrir une progéniture de la reine de plus en plus importante. En effet, un plus grand nombre d’ouvrières permet à la reine de produire plus d’ouvrières. Ceci crée une augmentation exponentielle de leur nombre. La reine a avantage à produire plus d’ouvrières, car cela permet de produire plus de mâles et de gynes. Puis, lorsque le nombre d’ouvrières atteint son apogée et que la nourriture, la sécurité et les soins parentaux sont à leur maximum, la colonie va se reconcentrer à produire des œufs pour produire des bourdons fertiles. Par contre, la production d’ouvrières s’étant arrêtée, la quantité d’ouvrières va progressivement diminuer jusqu’à disparaître. Par ailleurs, une fois la ponte des œufs des mâles et des gynes effectuée, les reines vont mourir. Les mâles, une fois adulte, vont quitter le nid pour se reproduire. Cela est quelque peu retardé chez les femelles qui peuvent, parfois, attendre un peu de temps avant de quitter la colonie. À partir de la diminution d’effectif des ouvrières jusqu’à ce que les sexués partent, la colonie va progressivement s’éteindre. Après s’être reproduits et avant l’arrivée de l’hiver, les mâles vont mourir. Cela n’est pas le cas des gynes fécondées, car elles vont aller de cacher sous terre pour se préparer à hiverner. Le dernier point du cycle de vie du bourdon représente la naissance et l’accouplement de la progéniture fertile des différentes reines du territoire. 4,5

On peut voir sur le graphique 1 que le nombre de mâles et de gynes diminue en automne parce que la mortalité augmente chez les mâles et les femelles. En hiver, le graphique montre une diminution de mâles et de gynes, mais les gynes ne disparaissent pas entièrement . En fait, elles vont commencer à se cacher sous terre pour hiberner. Elles ne sont plus visibles hors terre, mais elles sont encore là. Les reines sont les premières à sortir au printemps pour butiner.3

Schéma I : Cycle de vie du bourdon selon les saisons de l’année.. Dessin fait à la main par les auteurs du blog. Chaque point représente une étape dans le cycle de vie du bourdon. Le point 1 est l’hibernation, le point 2 le printemps et la butination, le point 3 la construction des cellules de cire, le point 4 la butination et le point 5 la reproduction. Entre le point 4 et 5 il y a la naissance des individus sexués.
Graphique 1 : Exemple des types de bourdon sur un territoire donné selon la période de l’année. Évolution  du nombres d’individus et de leurs classes en fonction du temps de l’année. Au printemps, seules les reines sont présentes. En été, il y a une forte augmentation du nombre d’ouvrières. Par la suite, il y a arrêt de la production d’ouvrières pour faire plutôt la production d’individus sexués, soit les mâles puis les gynes. Ensuite, vers l’automne, le nombre de mâles et de gynes vont diminuer . En hiver, il y a une chute drastique de gynes et de mâles. Ce graphique a été inspiré et adapté par des données obtenues sur Bombus terretris dans la région méditerranéenne de Gruel et al. (2008). Cependant, il peut différer des données réelles sur Bombus ternarius. Pour Bombus ternarius, les reines peuvent être vues entre avril et septembre, les ouvrières entre mai et septembre et les mâles entre juillet et octobre. Ces intervalles varient quelque peu avec les intervalles des classes du graphique1.

Détermination des castes

Contrairement à l’abeille domestiquée, la composition de la nourriture destinée aux larves ne semblerait pas déterminer la caste qu’auront les larves fertilisées puisque toutes les larves reçoivent la même nourriture.6

Eusocialité

Les bourdons sont des êtres sociaux et sont organisés en trois castes différentes. Il y a la reine qui a comme fonction principale de pondre des œufs et de se reproduire, les mâles qui ont comme fonction de se reproduire et les ouvrières qui ont comme fonction de défendre le nid et de trouver de la nourriture. Cette socialité pourrait avoir été à l’origine des adultes qui restaient dans le nid pour aider à élever les petits de la reine. Selon une théorie établie par W.D. Hamilton en 1960, ce comportement social serait issu d’une variation génétique et les gènes de l’altruisme auraient été naturellement sélectionnés. Il y aurait ensuite suffisamment de gènes altruistes pour créer une génération qui ne produiront pas d’œufs. Ainsi, la structure sociale simple d’une colonie, dont celle des bourdons, est celle d’une grande famille. Chez les bourdons, comparativement aux colonies d’abeilles et de guêpes, il existe de nombreux conflits au sein de cette structure sociale puisque vers la fin du cycle de la colonie, les travailleuses vont se montrer agressifs envers la reine. Ceux-ci vont manger ses œufs et vont essayer d’avoir leurs propres œufs. En effet, ces dernières possèdent des ovaires et peuvent ne pas être complètement stériles. Les ouvrières peuvent ainsi produire des œufs qui ne seront pas fertilisés et se développeront pour devenir des mâles. La reine va riposter en se montrant elle aussi agressive et en mangeant les œufs des ouvrières. Les colonies de bourdons sont donc moins paisibles entre elles et peuvent même dans certains cas tuer leur reine. Ce conflit provient de l’habilité de la reine et des travailleuses de produire des individus et donc de vouloir élever leur propre progéniture. 7

La relation du bourdon avec les autres espèces

Pour diminuer la compétition, les bourdons sont très spécialisés envers certains types de fleur et vont rarement changer, sauf si le type de fleurs qu’ils préfèrent est rare. Un simple bourdon peut refaire le même parcours de pollinisation plusieurs fois sur les mêmes fleurs. Lorsque plusieurs bourdons pollinisent la même région, ils pollinisent des fleurs différentes.8 Par exemple, Bombus ternarius, pour éviter toute sorte de conflit ou de compétition avec l’espèce Bombus terricola, va polliniser les parties distales des grappes de la verge d’or lorsque Bombus terricola est présent.9

Les bourdons peuvent être victimes de différents parasites, mais certains peuvent même vivre en tant que parasite comme le bourdon Bombus insularis. Ceux-ci ont perdu l’habilité de recueillir du pollen et de produire de la cire. La femelle, suite à un accouplement avec le mâle, va entrer dans le nid d’une autre espèce de bourdon, tuer sa reine et obliger les ouvrières à travailler pour elle et à la nourrir avec l’aide de phéromones ou d’agressions physiques pour être plus convaincante. La progéniture de cette espèce aura la capacité de s’accoupler et quittera le nid. Les femelles qui se sont accouplées vont alors rechercher d’autres nids à envahir. Avant d’envahir une autre colonie, celles-ci vont se nourrir directement sur des fleurs. Les mâles quant à eux se promènent à la recherche de femelles. Bombus insularis est connu pour envahir plusieurs espèces différentes de bourdons dont Bombus ternarius. 10  

Importance écologique

Chez plusieurs hyménoptères et en particulier chez les Apidae, ces derniers auront un rôle écologique très important. En ce qui concerne les bourdons, ils seront responsables d’une grande partie de la pollinisation des fleurs. Au cours des siècles, les plantes à fleurs et les insectes ont co-évolué pour leur survie. Les plantes donnent du nectar aux insectes et en contrepartie les insectes sont responsables d’une partie de leur reproduction sexuée. Lorsque les Apidae butinent, les vibrations vont détacher le pollen des étamines qui va, ensuite, se fixer aux poils de l’insecte. Ainsi, en butinant de fleurs en fleurs, les bourdons comme plusieurs insectes vont relâcher du pollen sur le pistil de plusieurs fleurs. De ce fait, les bourdons sont responsables de la production de plusieurs fruits qui à la base de la chaîne alimentaire pour plusieurs autres animaux. De plus, étant donné que les bourdons peuvent butiner dans plusieurs. C’est pour cette raison que les bourdons sont utilisés dans le domaine de l’agriculture autant à l’extérieur qu’à l’intérieur de serres. Ils sont utilisés pour polliniser plusieurs cultures comme les tomates, les poivrons, les framboises, les bleuets, la ciboulette, les concombres, les pommes, les fraises, la luzerne, les mûres, le soja, les tournesols, les haricots, les cerises, les abricots, les prunes, les amandes, les nectarines, les pêches, les cynorhodons, les aubergines et les canneberges.1 De plus, il existe des différences majeures sur les fruits produits par la pollinisation des bourdons en comparaison avec la pollinisation manuelle des fleurs par l’homme. Premièrement, l’efficacité des bourdons est plus grande que les méthodes manuelles. Ainsi, la production se voit améliorée, car plus de fleurs seront fécondées et formeront plus de fruits. Deuxièmement, le fruit produit par pollinisation des bourdons sera plus gros en comparaison avec la méthode manuelle.11, 12

*Toutes les photos sont des photos d’un spécimen de Bombus ternarius prise par les auteurs le 28 septembre 2017 et capturé le 7 septembre 2017 à la Station de biologie des Laurentides à moins d’indication contraire comme c’est le cas avec les diagrammes*

Bibliographie

1 : Colla, S. Richardson, L. Williams P. (2011), Bumbles bees of the eastern United States, Guide d’identification produit par le Département d’agriculture des États-Unis et du Pollinator Partnership, 104 pages

2: Cameron, S. A., Hines, H. M. et Williams, P. H. (2007) A comprehensive phylogeny of the bumble bees (Bombus). Biological Journal of the Linnean Society 91: 161-188.

3: Gurel, F., Gosterit, A. & Eren, Ö. (2008). Life-cycle and foraging patterns of native Bombus terrestris (L.) (Hymenoptera, Apidae) in the Mediterranean region. Insect Sociaux 55 (2): 123–128.

4: Pelletier, L. (2003) Facteurs affectant le succès reproducteur des bourdons en milieu naturel. Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval

5: « Insectes et autres arthropodes, Bourdons », Dans Ville de Montréal, Espace pour la vie, http://espacepourlavie.ca/insectes-arthropodes/bourdons (Page consultée 1 novembre 2017)

6: Pereboom, J. J. M. (2000). The composition of larval food and the significance of exocrine secretions in the bumblebee Bombus terrestris. Insectes Sociaux. 47 (1): 11–20. doi:10.1007/s000400050003.

7: Grzimek’s Animal Life Encyclopedia: Insects, 2nd édition. (2003) Édité par Michael Hutchins, Arthur V. Evans, Rosser W. Garrison and Neil Schlager, vol.3, pages 70-71

8: Heinrich, B. (1976), The Foraging Specializations of Individual Bumblebees. Ecological Monographs, 46: 105–128. doi:10.2307/1942246

9: Douglass H. Morse. (1977) Resource Partitioning in Bumble Bees: The Role of Behavioral Factors, Department of Zoology, University of Maryland, Vol. 197, Issue 4304, pp. 678-680 DOI: 10.1126/science.197.4304.678

10: Williams, P.H., Thorp, R.W., Richardson, L.L. and Colla, S.R. (2014). The Bumble bees of North America: An Identification guide, Princeton University Press: Princeton.

11: Dogterom, M. H., Matieoni, J. A., Plowright, R. C. (1998). Pollination of Greenhouse Tomatoes by the North American Bombus vosnesenskii (Hymenoptera: Apidae). Journal of Economic Entomology 91(1): 71-75.

12: Palma, G., Quezada-Euán, J. J. G., Reyes-Oregel, V., Meléndez, V., Moo-Valle, H. (2008) Production of greenhouse tomatoes (Lycopersicon esculentum) using Nannotrigona perilampoides, Bombus impatiens and mechanical vibration (Hym.: Apoidea). Journal of Applied Entomology 132(1): 79-85.