Calopteron terminale (Say 1823)

Calopteron terminale (Say 1823)

Par Mégane Déziel, Alexandrine Larson-Dupuis et Véronique Lemay-Caron (Édité par Étienne Normandin

unnamed
Photo par Mégane Déziel, Alexandrine Larson-Dupuis et Véronique Lemay-Caron. Le spécimen présenté sur la photo a été capturé à la Station de Biologie des Laurentides le 4 septembre 2014.

Classification

Ordre : Coleoptera
Sous-ordre : Polyphaga
Super-famille : Elateroidea
Famille : Lycidae
Sous-famille : Lycinae
Tribu : Calopterini
Genre : Calopteron
Espèce : Calopteron terminale (Say 1823)

À première vue, la morphologie de Calopteron terminale ne s’apparente pas à celle des insectes du même ordre. En effet, ses ailes antérieures évasées et leur texture rappelant un filet pourraient facilement porter à confusion, mais détrompez-vous, C. terminale est un coléoptère! Ses élytres modifiés, caractéristiques de la famille des Lycidés, ont donné à ces coléoptères le surnom anglais de «net-winged beetles» (se traduisant littéralement par «coléoptères aux ailes en filets»).

La plupart des Lycidés, dont C. terminale, sont de couleur noire, avec les élytres souvent marqués de taches rouge-orangés. Des couleurs aussi contrastantes sont typiques de l’aposématisme: il s’agit d’un signal d’avertissement pour les prédateurs, signifiant que l’individu pourrait représenter un danger (1). En effet, les longues stries creuses des élytres caractéristiques des Lycidés peuvent facilement être brisées pour libérer différents liquides nuisibles aux prédateurs. Lors d’une attaque importante, les Lycidés peuvent aussi sécréter ces mêmes liquides aux jonctions des segments des pattes (7). En conséquence, plusieurs autres espèces de Coléoptères, de Lépidoptères et d’autres insectes sont mimétiques des Lycidés pour flouer les prédateurs, même s’ils ne sont pas eux-mêmes toxiques. Ce phénomène de mimétisme Batésien est fréquent dans le règne animal. Le Calopteron terminale est imité entre autres par l’espèce de papillon (Lepidoptera) Lycomorpha pholus. Certaines espèces de Lycidés aux élytres de forme plus standard, peuvent aussi facilement être confondues avec une autre famille, les Lampyriidés, car leur pronotum coloré d’orange éclatant est semblable à celui des lucioles (7).

https://www.flickr.com/photos/107963674@N07/15308676682/in/pool-14414927@N00
Calopteron terminale (Coleoptera). ©2014 Macroscopic Solutions CC BY-NC 2.0
Photo par Andy Reago & Chrissy McClarren
Le mimétisme de Lycomorpha pholus (Lepidoptera) ©2014 Andy Reago & Chrissy McClarren CC BY 2.0

Un autre fait étonnant chez les Lycidés est que plusieurs espèces sont néoténiques, c’est-à-dire qu’elles maintiennent des caractères larvaires même lorsqu’elles ont atteint la maturité sexuelle. Chez ces espèces, c’est la femelle qui garde une apparence larvaire, alors que le mâle développe des ailes. Selon les données moléculaires, ces caractères néoténiques auraient évolué plusieurs fois (homoplasie) dans les lignées de Lycidés (2)(3). Cela a obligé une modification complète de la phylogénie de la famille, puisque toutes les espèces néoténiques avaient été classées ensemble. Ce n’est toutefois pas le cas chez C. terminale, car la femelle développe aussi des ailes à maturité sexuelle.

La famille des Lycidés n’est pas la seule à être particulière au sein du sous-ordre Polyphaga. Il s’agit d’un groupe énormément diversifié en terme de morphologie, de mode de vie et d’alimentation, d’où le nom «poly-» («plusieurs») et «-phaga» («manger»). Bien que la phylogénie de C. terminale semble solide au sein de sa famille, les relations avec les autres membres de la super-famille Elateroidea sont encore très incertaines. La monophylie d’Elateroidea est d’ailleurs actuellement remise en question par certains entomologistes (1). Il est donc possible que la phylogénie de C. terminale au niveau de la super-famille soit éventuellement modifiée.

Morphologie

Calopteron terminale fut décrit en 1823 par Thomas Say (1787-1834). Il était taxonomiste, zoologiste et l’un des premiers entomologistes américains. La caractérisation morphologique de C. terminale par Thomas Say est disponible dans American Entomology: A Description of the Insects of North America (9).

En plus de sa coloration aposématique, C. terminale possède plusieurs caractéristiques communes à tous les Lycidés, dont le pronotum élargi couvrant complètement ou en partie la tête, les pièces buccales dirigées vers le bas, les antennes composées de 11 antennomères aplatis, les pattes dont les coxas sont séparés à la base et comportent chacune 5 tarsomères finissant par des griffes simples, ainsi que les tarsomères 1 et 4 pubescents. De plus, l’abdomen possède 7 sternites chez les femelles et 8 chez les mâles (7).

Calopteron terminale se distingue des autres Lycidés par sa couleur noir aux reflets bleutés du bout de ses élytres. Lorsque regardées de profil, les stries des élytres présentent une légère ondulation. Son thorax est entièrement noir, et les marges séparant les segments sont légèrement recourbées (9). Les antennes atteignent la moitié de la longueur des élytres, et ont un aspect dentelé (1). De plus, le pronotum possède une carène médiane se prolongeant sur toute sa longueur, ce qui est un caractère typique de la tribu Calopterini (4). Finalement, C. terminale mesure entre 8,5 et 16 millimètres, le mâle étant généralement plus petit que la femelle.

Écologie

Calopteron terminale habite l’est de l’Amérique du Nord, mais a aussi été observé plus à l’Ouest, au moins jusqu’au Colorado, et au sud jusqu’au Texas (6). La limite nord exacte n’est pas connue, mais cette capture à la Station de Biologie des Laurentides nous permet d’affirmer que l’espèce se retrouverait au moins jusqu’au domaine climatique de l’érablière à bouleau jaune.

La larve de C. terminale vit dans des résidus de bois en décomposition, le plus souvent sous l’écorce de souches d’arbres morts, mais tenant encore debout (8). Elle se nourrit des fluides produits par les infestations fongiques. La mue en stade nymphal de C. terminale est particulière. Lorsque vient le temps pour les larves de muer, une multitude de larves émergent d’un même trou dans l’écorce de l’arbre qui les abritait. Il semblerait alors que ces larves deviendraient nymphes en radiant de ce point. Autrement dit, il y a formation d’un disque de nymphes autour du point d’émergence, et celui-ci grossit à mesure que les larves émergent et muent (8). On peut donc observer ces nymphes en agrégats. Le jour même, les adultes sont libérés de leur nymphe et s’envolent.  

Cycle de Vie C. terminale
Cycle de vie de C. terminale 1. Stade larvaire, vivant sous l’écorce d’une souche morte (ou d’un autre résidu de bois) 2. Stade nymphal, durant lequel les individus forment un agrégat de nymphes autour d’un point d’émergence dans l’écorce 3. Stade adulte se nourrissant de nectar de fleurs (ou de miellat) 4. Comportement précopulatoire chez l’adulte femelle 5. Copulation, menant à la ponte des oeufs et leur éclosion sous l’écorce d’une souche morte

Les C. terminale adultes se retrouvent souvent sur les fleurs ou les feuilles, où ils se nourrissent de nectar ou de miellat produit par les pucerons (1)(8). Leur vie est relativement courte, et elle a pour objectif la reproduction. Ces coléoptères se démarquent des autres par leur comportement pré-copulatoire hors du commun. C’est en juillet 1975 que Horace R. Burke a observé plusieurs individus de C. terminale adultes, en nature, puis en laboratoire (8). Burke a d’abord remarqué une femelle qui, en marchant, ouvrait et fermait ses élytres de manière régulière, sans chercher à voler. Elle a continué à agir ainsi lorsqu’elle a été mise en captivité pour être observée. Ce comportement a aussi été observé chez un spécimen mâle, mais à beaucoup plus faible fréquence. À l’époque où ces observations ont été faites, ce comportement n’avait été noté chez aucune autre espèce du genre Calopteron. Burke a émis plusieurs hypothèses quant à la fonction de ce mouvement des élytres, plusieurs d’entre elles étant en lien avec la copulation. Par exemple, il pourrait servir à la dispersion de phéromones ou bien de signal visuel pour qu’un mâle potentiel la repère. Une semaine plus tard, Horace R. Burke a eu la chance d’observer un couple de C. terminale en copulation ramené en laboratoire. La copulation observée dura plusieurs heures après la capture des insectes.

L’accouplement est non seulement de longue durée, mais il est aussi très maladroit. Les ailes des Lycidés étant faibles, il leur est difficile de supporter le poids des deux individus lors du vol nuptial. Cela résulte souvent en une copulation interrompue, suivie de la chute au sol des deux individus (8). À la suite de cette copulation ardue, les oeufs sont pondus par la femelle dans l’écorce d’un arbre mort, où les larves écloront.

Références

(1) Arnett, R., Thomas, M., Skelley, P. Frank, J.H. (2002). American Beetles: Polyphaga: Scarabaeoidea through Curculionoidea, Volume 2, CRC Press, 880 pages, pages 174-178.

(2) Bocak, L., & Bocakova, M. (2008, December). Phylogeny and classification of the family Lycidae (Insecta: Coleoptera). In Annales Zoologici (Vol. 58, No. 4, pp. 695-720). Museum and Institute of Zoology, Polish Academy of Sciences.

(3) Bocak, L., Bocakova, M., Hunt, T., Vogler, A.P. (2008). Multiple ancient origins of neoteny in Lycidae (Coleoptera): consequences for ecology and macroevolution, Proc R Soc B, 275 (1646). Repéré à http://rspb.royalsocietypublishing.org/content/275/1646/2015.short

(4) Bocakova, M. (2010). Revision of the Tribe Calopterini (Coleoptera, Lycidae), Studies on Neotropical Fauna and Environment, 38:3, 207-234. Repéré à http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1076/snfe.38.3.207.28169

(5) BugGuide.Net. 2003-2013 «Species Calopteron terminale – End Band Net-wing». En ligne. Page consultée le 21 octobre 2014. http://bugguide.net/node/view/8197

(6) Burke, H. R. (1976). Observations On Adult Behavior Of The Lycid Beetle Calopteron terminale Coleoptera Lycidae, Entomological News 87:229-232(1976) Repéré à http://biostor.org/reference/77413

(7) Evans, A.V. (2014) Beetles of Eastern North America, Princeton University Press, New Jersey, 560 pages, pages 229-232.

(8) McCabe, T. L., & Johnson, L. M. (1979). Larva of Calopteron terminale (Say) with additional notes on adult behavior (Coleoptera: Lycidae). Journal of the New York Entomological Society, 283-288.

(9) Say, T., Ord, G. (1869) A description of the Insects of North America, J.W. Bouton, New York, 412 pages, page 45.