Enallagma boreale (Selys 1875)

Enallagma boreale (Selys 1875)

Le « Boreal Bluet » ou « Agrion boréal »

Par Jean-Michel JACQUES et Mélyssa PINARD-FORTIER

Texte et images ©2017 CC BY-SA 4.0, les auteurs

Photo 1. Femelle collectée à l’aide d’un filet à papillon sur le Chemin du lac Corriveau, St-Hippolyte, QC, Canada le 7 septembre 2017.

Classification 1

Classe : Insecta

Ordre : Odonata

Sous-ordre : Zygoptera

Famille : Coenagrionidae

Genre : Enallagma

Espèce : Enallagma boreale (Selys, 1875)2

Identification

La similitude dans la largeur de la base et la longueur des ailes antérieures et postérieures fait d’Enallagma boreale un membre du sous-ordre Zygoptera (Resh, V.H., Cardé, R.T. (2009). Les caractéristiques principales qui définissent les Coenagrionidae sont le nombre de nervures transversales entre la base de l’aile et le nœud, dans l’espace Sc-R (moins de 5) (1), la marge occipitale dorso-postérieure de forme transverse (2), un CuA formé de deux cellules ou plus (3), l’absence de pseudostigmate (4) et l’absence de secteurs supplémentaires entre IR1 et RP2 (5); voir photos 2 et 3 (Garrison, R.W., von Ellenrieder, N., Louton, J.A. (2010)).

L’identification au genre a ensuite été possible en suivant la clé d’identification de Damselfly genera of the New World: an illustrated and annotated key to the Zygoptera (Garrison, R.W., et al (2010)) pour les femelles étant donné la présence d’un ovipositeur et d’une épine vulvaire. Parmi les caractéristiques qui ont permis de déterminer le genre (Enallagma) on retrouve: la cellule de forme quadrilatère à angle aigu (6), les bandes thoraciques parallèles au dos (7), le patron dorsal de la tête non tigré (8), l’abdomen pas majoritairement blanc (9), le segment S8 de l’abdomen possèdant une épine vulvaire (10) et l’ovipositeur ne dépassant pas le segment S10 (11); voir photos 2 à 4.

Pour identifier l’espèce (Enallagma boreale), deux ouvrages ont été utilisés soit Damselflies of the Northeast (Lam, E. (2004))et Dragonflies and Damselflies of the East (Paulson, D. (2011)) afin de comparer les différentes espèces du genre. Le choix s’est arrêté sur Enallagma boreale, car la distribution correspond mieux à la région où le spécimen a été trouvé, la taille des taches post-oculaires (12) est semblable et que l’ovipositeur est gros (11) chez le spécimen et chez l’espèce; voir figures 3 et 4.

Photo 2. Caractéristiques de l’aile permettant l’identification d’Enallagma boreale. Cliquer sur l’image pour une meilleure vue.
Photo 3. Caractéristiques de la tête et du thorax permettant l’identification d’Enallagma boreale. Cliquer sur l’image pour une meilleure vue.

"9-Abdomen

Morphologie

Les adultes chez Enallagma boreale mesurent entre 28 et 36.6 mm et ont une envergure de 17 à 12 mm. Les femelles sont généralement plus grosses à cause des ovaires. L’espèce présente un dimorphisme sexuel ainsi qu’un polymorphisme chez la femelle. Le mâle étant principalement bleu et noir avec un patron de coloration se détaillant comme suit: une tête principalement bleue, un pronotum noir, un thorax bleu, des pattes bleues ou beige avec des bandes noires, un abdomen bleu avec trois bandes noires courtes et deux longues et un cerci noir. Les femelles présentent deux morphes: un semblable à celui du mâle et le second plutôt brun-roux. Le patron de marquage est semblable aux mâles mais avec un abdomen plus noir et des zones plus claires sur les trois derniers segments.3 La raison du polymorphisme n’a pas encore été découverte et l’hypothèse qui semblait la plus probable a été écartée. Celle-ci propose que les femelles bleues pourraient échapper aux mâles qui présentent un comportement agressif envers les femelles en période de reproduction. En effet, elle a été rejetée par une étude comparant le comportement du mâle envers les deux morphes de femelles qui s’est avéré être semblable peu importe leur couleur.4

Photo 5. Mâle Enallagma boreale. Photo par Phil Myers [CC BY-NC-SA 3.0]

Pour ce qui en est de la larve, elle présente un corps long et mince de couleur gris ou brun avec des branchies à l’extrémité postérieure de l’abdomen.  Elle possède de grands yeux, un corps couvert de soie et un labium très développé permettant d’attraper ses proies.3 .

Distribution et habitat

Enallagma boreale est une espèce indigène de la zone néarctique et sa distribution s’étend d’est en ouest à travers le Canada et les États-Unis. Sa répartition nord-sud se définie au nord par la zone subarctique et au sud jusqu’à la Californie, l’Arizona et le Nouveau-Mexique 3.  L’agrion boréal est l’espèce de zygoptère la plus nordique au Canada, vivant dans des températures estivales moyennes pouvant se situer aussi bas que 2-4°C. L’espèce peut se retrouver jusqu’à une altitude de 3500m (Corbet, P.S. (1999)).

La larve d’Enallagma boreale est aquatique et se retrouve dans les milieux lentiques d’eaux douces. À l’est, elle se retrouve dans les mares sans poisson, alors que dans l’ouest elle n’y est pas restreinte. Les adultes peuvent se trouver dans de multiples biomes terrestres (boisés, tourbières, marais, montagnes, etc.), mais restent à proximité des points d’eau.3 (Paulson, D. (2011)).

Reproduction et cycle de vie

Enallagma boreale est une espèce hémimétabole qui se reproduit pendant la saison estivale, particulièrement pendant les mois de juin et de juillet, mais la période de reproduction peut s’étendre de la fin du printemps jusqu’au début de l’automne dans les régions plus chaudes. Lorsque la femelle est prête, elle rejoint leur site de reproduction, en bordure des lacs ou d’étangs, où les males passent la plupart de leur temps.3 Suite à une parade nuptiale où le male exhibe ses couleurs et démontrent ses prouesses de vol, les deux individus adoptent une position d’accouplement particulière, mais caractéristique des zygoptères. Le male attrape la femelle par sa plaque mesostigmale à l’aide des appendices à l’extrémité de son abdomen. Il doit alors transférer son sperme jusqu’à ses glandes séminales, situées sous le second segment abdominal. La femelle va ensuite balancer son abdomen vers l’avant afin de rejoindre le second segment abdominal du mâle, où le transfert du sperme à lieu. La position qui en résulte, rappelant vaguement la forme d’un cœur, est appelée « roue de reproduction ». La copulation peut durer en moyenne 23 minutes.3

Par la suite, la femelle dépose ses œufs sur la végétation flottante, celle en bordure, ou même parfois directement dans l’eau. Le male aide la femelle lors du processus afin de s’assurer qu’aucun rival ne tente de féconder sa conquête. Brièvement après la ponte, le couple meurt. Les œufs peuvent éclore après seulement 11 jours à température élevée, mais peuvent prendre jusqu’à 61 jours à basse température. Les larves aquatiques sont minces et allongées, et donc bien adaptées aux courants rapides. Par contre, elles ne s’enfouissent pas dans la terre, contrairement aux larves de libellules. Ce stade peut durer quelques mois à quelques années, dépendamment des conditions, par exemple, les températures plus froides peuvent retarder le développement. De plus, les larves femelles nécessitent plus de temps pour se développer puisqu’elles une quantité de nourriture supplémentaire est nécessaire à la formation de leurs ovaires. Lors du passage entre le stade larvaire et le stade adulte, l’insecte sort de l’eau et s’accroche à la végétation, où la métamorphose peut prendre quelques jours. L’adulte vit en moyenne 4 jours, mais peut vivre jusqu’à 17 jours.5

Alimentation et prédation

Enallagma boreale est un redoutable prédateur qui s’alimente principalement de petits insectes au corps mou, comme les mouches et les moustiques. Les éphémères, les pucerons et certaines espèces de lépidoptères font également partie de leur régime. Les larves, elles aussi prédatrices, chassent de petits insectes aquatiques, tels que des larves d’éphémères, de diptères, ou encore des petits crustacés dulcicoles.3

L’agrion boréal est lui-même la proie de nombreux prédateurs. Notamment, les libellules représentent une menace constante, que ce soit pour les adultes ou pour les larves.6 Les adultes sont aussi victimes des araignées, des oiseaux, des Assilidés et même d’autres zygoptères. Les larves constituent la proie de grenouilles et d’insectes aquatiques, et doivent même redouter les autres larves d’Enallagma boreale, puisque les plus grosses font preuve de cannibalisme envers les plus petites et les œufs.7  En général, cette espèce n’a pas à craindre les poissons, puisqu’elle vit autour des points d’eau où ils sont absents. Par contre, si une population se retrouve dans une mare contenant des poissons, ces insectes représenteront une proie facile, puisqu’ils ne les considèrent pas comme des prédateurs potentiels.8


RÉFÉRENCES

Sites internet/Articles

  1. Tom Murray (2005). Species Enallagma boreale – Boreal Bluet. Repéré à : https://bugguide.net/node/view/18178/tree
  2. Smithsonian Institution (2016). Enallagma boreale Selys, 1875. Repéré à: http://collections.si.edu/search/record/nmnhentomology_9283539
  3. Miner, A. (2014). Enallagma boreale. Repéré à http://animaldiversity.org/accounts/Enallagma_boreale/
  4. Fincke, O. M. (2015). Trade‐offs in female signal apparency to males offer alternative anti‐harassment strategies for colour polymorphic females. Journal of evolutionary biology, 28(4), 931-943. doi: 10.1111/jeb.12623
  5. Perrin, E. (2014) Comment les libellules et demoiselles s’accouplent-elles ?
    Repéré à : http://www.maxisciences.com/libellule/comment-les-libellules-et-demoiselles-s-039-accouplent-elles_art31960.html
  6. Brown, A.L. & Robinson, B.W. (2016) Variation in behavioural plasticity regulates consistent individual differences in Enallagmadamselfly larvae. Animal behavior, 112, p.63-73.
  7. Anholt,B.R. Cannibalism and early instar survival in a larval damselfly. Oecologia, 99(1-2), p.60-65
  8. Mcguffin, M.A., Baker,R.L., & Forbes,M.R. Detection and avoidance of fish predators by adult Enallagma damselflies. Journal of insect behavior, 19(1), p.77-91

Littérature

Corbet, P.S. (1999). Dragonflies: Behavior and Ecology of Odonata. Ithaca, États-Unis: Cornell University Press.

Garrison, R.W., von Ellenrieder, N., & Louton, J.A. (2010). Damselfly genera of the New World: an illustrated and annotated key to the Zygoptera. Baltimore, États-Unis: Johns Hopkins University Press.

Lam, E. (2004). Damselflies of the Northeast. Forest Hills, États-Unis: Biodiversity Books.

Paulson, D. (2011). Dragonflies and Damselflies of the East. Princeton, États-Unis: Princeton University Press.

Resh, V.H., Cardé, R.T. (2009). Encyclopedia of Insects (2e edition). Cambridge, États-Unis: Academic Press.