Graphoderus liberus (Say 1825)

Graphoderus liberus (Say 1825)

par Geneviève Leblanc et Dominique Caron

Texte, dessin, et photographies © 2016 CC BY-SA 4.0, les auteurs

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L’insecte a été attrapé dans une mare de la tourbière bordant le Lac Geai à la Station de Biologie des Laurentides au moyen d’un filet troubleau.

Identification

La première étape dans l’identification d’un insecte est de déterminer l’ordre auquel appartient l’individu. Ainsi, la présence d’élytres (ailes postérieures modifiées) nous permet d’affirmer qu’il s’agit d’un Coléoptère.

L’identification à la famille et à la sous-famille s’est effectuée avec le guide d’identification “Les insectes du Québec” et grâce aux connaissances de l’habitat de l’insecte (Dubuc, 2007).

Afin de déterminer le genre, les critères suivants ont été utilisés dans l’ordre :

–          La petite taille, soit inférieure à 18 mm

–          L’absence d’épines le long de la marge latérale des élytres

–          Les éperons des métatibias (tibias des pattes postérieures) émarginés à l’apex

–          Les ponctuations fines des élytres qui sont peu visibles

–          Les poils des mésofémurs (fémur des pattes médianes) moins larges que le fémur à leur base

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Schéma de la patte metathoracique et des éperons émarginés du métatibia.

Ce dernier critère a permis d’identifier le genre de notre insecte : Graphoderus.

L’absence de marques noires sur la tête et le pronotum et leur couleur jaune à rouge-brun ont permis de déterminer l’espèce : Graphoderus liberus (Larson et al., 2000).

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Absence de tâches noires sur la tête et le pronotum, ainsi que la couleur caractéristique de l’espèce

Ainsi, en récapitulant, cette espèce se trouve dans le genre Graphoderus, la sous-famille Dytiscinae, la famille Dytiscidae, le sous-ordre Polyphaga et l’ordre Coleoptera de la classe Insecta (Larson et al., 2000).

Cette espèce a été décrite par Say en 1825 et le spécimen type a été collecté dans l’état du Massachussetts. Il s’agit de la plus petite espèce du genre Graphoderus. D’ailleurs, l’espèce est assez distinctive des autres espèce du genre, qui sont assez similaires entre elles. Elle est notamment colorée de façon différente autant au stade larvaire qu’adulte et possède plusieurs caractères structuraux distinctifs. L’espèce devrait être classée dans un sous-genre à part, mais le projet est en attente d’analyses plus poussées (Larson et al., 2000).

Distribution géographique

Les dytiques sont présents un peu partout dans le monde, excluant les régions les plus arides. On estime leur diversité à un total de 4 800 espèces, ce qui en fait la famille la plus diversifiée des coléoptères aquatiques (Jäch et Balke, 2008).

G. liberus est une espèce nord-américaine dotée d’une grande aire de distribution. Celle-ci est transcontinentale. Ainsi, elle se retrouve de Terre-Neuve jusqu’en Colombie-Britannique et a été retrouvée jusqu’en Floride (Larson et al., 2000).

Comme la grande majorité des dytiques, G. liberus est un coléoptère aquatique. On retrouve généralement cette espèce dans des eaux stagnantes et marécageuses, comme dans les mares de tourbières, et strictement dans les milieux forestiers. Elle peut être une espèce très abondante localement (Larson et al., 2000).

Écologie

Les dytiques sont des espèces carnivores, que ce soit au stade larvaire ou au stade adulte. Ils se nourrissent d’autres petits insectes, de zooplanctons et certains peuvent même s’attaquer à des têtards ou à de petits poissons (Oertli et Frossard, 2013).

Les dytiques possèdent deux paires de glandes qui sécrètent des substances toxiques. Ces substances sont principalement utilisées comme défense contre les prédateurs que sont les poissons. La substance sécrétée par G. liberus rend d’abord le poisson hyperactif, puis l’activité musculaire diminue jusqu’à la mort du malheureux si la dose est suffisante (Miller et Mumma, 1972).

Autant l’adulte que les stades larvaires vivent dans l’eau. Ainsi, Graphoderus liberus possède de nombreuses adaptations à la vie aquatique. Comme les autres Dytiscidés, cette espèce montre une forme aérodynamique et plutôt compacte. Elle a des pattes natatoires, c’est-à-dire conçues pour la nage. Le tibia, le fémur et/ou le tarse de ces pattes, surtout des pattes postérieures, sont aplatis. Le tarse porte des poils dits natatoires améliorant davantage la nage. Contrairement aux coléoptères terrestres et plusieurs coléoptères aquatiques, les espèces de la famille Dytiscidae activent leurs pattes simultanément comme des rames sur un bateau (Miller et Bergsten, 2016). Celles-ci ont aussi la capacité d’emmagasiner de l’air sous leurs élytres, où se trouvent les huit paires de spiracles (entrée de l’air dans le système respiratoire des insectes) abdominaux. Cette réserve doit être renouvelée constamment à la surface. Par contre, le temps de plongée peut être prolongé par la présence d’une petite bulle d’air se formant à la pointe de l’abdomen. Cette bulle d’air jouerait le rôle de « branchie ». En effet, l’oxygène dissout dans l’eau diffuserait à l’intérieur de cette dernière et le nitrogène produit diffuserait dans l’eau. La taille de la bulle diminuerait et entraînerait alors la remontée de l’insecte vers la surface. Elle permettrait aux Dytiscidés de demeurer très longtemps dans l’eau en période d’inactivité et même potentiellement à survivre sous la glace en hiver (Kehl, 2014).

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Des adaptations à la vie aquatique peuvent aussi être observées chez les larves du genre Graphoderus. Celles-ci peuvent flotter, se mouvoir et nager avec adresse dans la colonne d’eau. Comme l’adulte, leurs pattes possèdent des franges de poils natatoires. L’habileté la plus remarquable de ces larves est leur capacité à plier à grande vitesse leur abdomen lorsqu’elles sont attaquées ou dérangées, ce qui leur permet de se propulser rapidement vers l’arrière. Enfin, leur corps ressemble à une crevette! (Kehl, 2014)

L’abondance de G. liberus semble être une cause importante de la faible récupération de la diversité en poissons dans certains lacs ayant subi l’acidification de leurs eaux. Les poissons étant très sensibles aux changements de pH, leur quantité peut chuter dramatiquement lors d’un tel phénomène. G. liberus qui est libéré de ses principaux prédateurs, les poissons, peut alors proliférer. Les dytiques étant des animaux assez gourmands, en particulier leurs larves qui peuvent être très voraces, l’augmentation de leur nombre met une pression importante sur leurs proies. Ainsi, le stock de zooplanctons et la diversité en espèces de ces lacs diminuent grandement. Ce bouleversement dans la structure de la chaîne alimentaire a pour effet de ralentir le retour de beaucoup d’espèces dans les lacs en récupération (Arnott et al., 2006).

predateur-graphoderusBibliographie

Arnott, S. E., Jackson, A. B. et Alarie, Y. (2006). Distribution and potential effects of water beetles in lakes recovering from acidification. Journal of the North American Benthological Society, 25(4), 811-824. Lien vers l’article : DOI: 10.1899/0887-3593(2006)025[0811:DAPEOW]2.0.CO;2

Dubuc, Y. (2007). Les insectes du Québec: guide d’identification. Saint-Constant, Québec: Broquet.

Jäch, M. A. et Balke, M. (2008). Global diversity of water beetles (Coleoptera) in freshwater. Hydrobiologia, 595(1), 419-442. Lien vers l’article : DOI: 10.1007/s10750-007-9117-y

Kehl, S. (2014). Morphology, Anatomy, and Physiological Aspects of Dytiscids. In Ecology, Systematics, and the Natural History of Predaceous Diving Beetles (Coleoptera: Dytiscidae) (pp. 173-198). Springer Netherlands.

Larson, D.J., Alarie, Y. et Roughley, R.E. (2000). Predaceous Diving Beetles (Coleoptera: Dytiscidae) of the Nearctic Region, with Emphasis on the Fauna of Canada and Alaska. Ottawa, Canada : NRC Research Press

Miller, J.R. et Mumma, R.O. (1973). Defensive agents of the American water beetles Agabus seriatus and Graphoderus liberus. Journal of Insect Physiology, 19(4), 917-925. Lien vers l’article : DOI: 10.1016/0022-1910(73)90161-3

Miller, K. B. et Bergsten, J. (2016). Diving Beetles of the World: Systematics and Biology of the Dytiscidae. Baltimore, USA : Johns Hopkins University Press.

Oertli, B. et Frossard, P.-A. (2013). Mares et étangs: Écologie, gestion, aménagement et valorisation (1e éd.). Lausanne, Suisse : PPUR Presses polytechniques