Anoplius marginatus (Say 1824)

Anoplius marginatus (Say 1824)

guêpe solitaire chasseuse d’araignée

Par Oscar BAUER et Sylvère HEUZÉ  (édité par Colin FAVRET)

Texte et images ©2014 CC BY-SA 4.0, les auteurs

Le spécimen a été capturé à la Station de Biologie des Laurentides le 6 Septembre 2013 alors qu’il butinait des fleurs de Solidago canadensis.
Le spécimen a été capturé à la Station de Biologie des Laurentides le 6 Septembre 2013 alors qu’il butinait des fleurs de Solidago canadensis.

Cycle de vie

L’adulte vit de la fin du printemps au début de l’automne, le temps pour lui de se reproduire. Après avoir été fécondée, la femelle du pompile paralyse une araignée qu’elle enfouit dans le sol après avoir pondu un oeuf sur l’abdomen de sa proie, et elle fait ainsi pour chacun de ses oeufs séparément. Ses larves se développeront en se nourrissant de l’arachnide paralysée jusqu’à leur métamorphose nymphale. En effet, au bout de cinq stades larvaires dont quatre sans changements importants de morphologie, la larve va s’enrouler dans un cocon soyeux, dont elle sortira plus tard le même été ou dans lequel elle passera l’hiver, selon le moment de l’année.

Répartition et statut

Le pompile Anoplius marginatus est localisé dans l’Est du continent Nord-Américain. Il a été recensé dans divers états des Etats-Unis, tel qu’en Floride, dans l’Illinois, le Michigan, le Massachusetts et le New Jersey. On le trouve aussi au Canada dans la province de Québec et certainement dans les autres provinces de l’Est (voir EOL).

À ce jour, l’espèce ne dispose pas d’un statut menacé ou de mesure de protection particulière.

Prédation des arachnides (alimentation de la larve)

  • Proies d’Anoplius marginatus

Les différents pompiles sont plus ou moins spécifiques en termes de proies, mais Anoplius marginatus exploite un large panel d’hôtes pour ses larves parmi au moins dix familles d’araignées : Gnaphosidae, Clubionidae, Thomisidae, Salticidae, Agelenidae, Lycosidae, Araneidae, Anyphaenidae, Amaurobiidae, Dysderidae, ainsi que des Opiliones1.

Les proies ne sont pas pourtant choisies au hasard, on note une nette préférence pour des araignées femelles (83 % des proies lors d’une étude¹), et plus petites que le pompile chez Anoplius marginatus. Comme c’est fréquemment le cas chez les petites espèces de pompiles, les hôtes choisis sont souvent des individus immatures1.

  • Capture

Dans ses Souvenirs Entomologiques (série 2), Jean-Henri Fabre décrit le paradoxe qui existe pour les pompiles : être prédateurs des araignées, sans pour autant devenir leur proie! En effet, leur gibier, tout aussi bien équipé pour tuer, est certainement capable d’intervertir les rôles. Pourtant l’araignée est quasiment toujours la victime, et pour cette raison l’entomologiste a patiemment observé le comportement d’une espèce indigène, Pompilus apicalis, afin de comprendre le stratagème des pompiles pour capturer les araignées, notamment celles qui vivent protégées dans un abri ou au milieu de leurs toiles. Pour les araignées coureuses ou sauteuses, on sait que les pompiles se contentent de repérer leur proie et de la prendre de vitesse avant de la piquer. Mais dans les cas où l’araignée doit être débusquée d’une cavité ou d’un tunnel, J.H. Fabre a remarqué que le pompile tentait d’attirer l’araignée suffisamment proche de la sortie pour l’attraper et la jeter hors de son abri, bien que ces tentatives ne soit pas toujours couronnées de succès. Une fois délogée, l’araignée est vulnérable et ne présente plus de risque pour le pompile, qui s’empresse alors de la piquer.

On peut penser qu’Anoplius marginatus, qui chasse les deux types d’araignées (embusquées ou non), recoure à tous ces moyens pour capturer ses proies.

Dessin de la vue dorsale d'une femelle.
Dessin de la vue dorsale d’une femelle.
  • Venin

La piqûre induit une paralysie non-létale, à laquelle contribue sûrement la pompilidotoxine, neurotoxine qui ralenti l’inactivation des canaux sodium voltage dépendants, découverte chez Anoplius samariensis, un taxon proche vivant en région pale-arctique3.

Mais là n’est pas la seule fonction du venin des pompiles. Comme la larve se nourrit sur son hôte, celui-ci doit garder ses organes vitaux (cœur, système nerveux central) en bon état, de telle sorte que l’araignée ne se décompose pas avant que la larve ne se soit pleinement développée. J.H. Fabre note ainsi l’excellente conservation d’un spécimen de lycose piqué par le pompile Calicurgus annulatus :

L’aranéide a été piquée dans la région du thorax, une seule fois sans doute, vu la concentration de son appareil nerveux. Je mets la victime dans une boîte, où elle se conserve avec toute la fraîcheur, toute la flexibilité de la vie, depuis le 2 août jusqu’au 2 septembre, c’est-à-dire pendant sept semaines.” (Souvenirs Entomologiques, série 2)

En effet, les pompiles du genre Anoplius possèdent pour la plupart de l’anopline dans leur venin, un antibiotique actif contre les bactéries gram-positives et gram-négatives, qui protège la larve de potentielles infections durant la consommation de l’hôte4.

  • Transport de la proie et ponte

L’araignée paralysée peut se voir amputée de certains de ses membres pour faciliter son déplacement vers le terrier du pompile, qu’il aura aménagé à proximité au préalable². Chez Anoplius marginatus, il s’agit généralement d’un trou ou d’une crevasse verticale dans laquelle, à plus de 5 cm de profondeur, il creuse une cellule au bout d’un court tunnel horizontal (voir dessin). Celui-ci est refermé de façon rudimentaire avec du gravier une fois que l’araignée et l’œuf y sont déposés. Par ailleurs, on a déjà observé deux femelles d’Anoplius marginatus partager un même trou pour leurs proies, dans 2 cellules différentes2.

Butinage des fleurs (alimentation de l’adulte)

L’adulte, s’il nourrit ces larves d’araignées, est néanmoins nectarivore. Il butine un large éventail de végétaux et notamment des Apiaceae, des Asteraceae et des Lamiaceae, d’aprés une étude menée dans l’Illinois5.

Morphologie de l’adulte

  • Aspect général

Le corps noir aux téguments lisses, marqué d’orange sur le 3ème tergite abdominal, mesure environ 12 mm. Les ailes hyalines ont une envergure de 20 mm.

  • Tête

Les pièces buccales de type broyeur du pompile sont orientées vers sa face ventrale, on dit qu’il est orthognathe. Pour la vision, il dispose comme la plupart des insectes de 2 yeux composés et de 3 ocelles. Ses antennes sont longues de 13 articles chez le mâle, et de 12 chez la femelle. On remarque qu’ils s’enroulent en crosse après la mort de l’insecte. Le premier article de l’antenne, le scape, est court et peu renflé. Le cou qui sépare la tête du thorax est très fin et très mobile.

  • Mesosoma (fusion du thorax et du 1er segment abdominal, le propodeum)
Dessin de la vue latérale d'une femelle.
Dessin de la vue latérale d’une femelle.

Comme chez tous les pompiles, le pronotum atteint en arrière la base des ailes. Le métathorax est très court, soudé au premier segment abdominal pour former le segment médiaire. Le propodeum est court, plus large que long et entièrement glabre.

  • Metasoma ou gastre (autres segments abdominaux)

Contrairement à celui de certains hyménoptères, l’abdomen d’Anoplius marginatus n’est pas pétiolé au niveau du 3ème segment abdominal. Il dispose toutefois d’un net étranglement à sa base, comme chez tous les Apocrites. La brosse de soies terminales tergales à l’extrémité du gastre est caractéristique du genre Anoplius. Enfin, à l’instar de tous les Aculéates, l’ovipositeur est modifié chez la femelle pour servir d’aiguillon, utilisé dans le cas d’Anoplius marginatus autant pour la défense que la prédation.

  • Ailes

Les ailes.

En tant qu’hyménoptère, Anoplius marginatus peut coupler ses ailes antérieures et postérieures en vol grâce à un système de crochets sur la nervure antérieure (marge costale) des ailes postérieures. Comme chez tous les membres des Aculéates, un lobe jugal est visible sur les ailes postérieures.

  • Pattes

Quelques pattes.

Les pattes sont longues et grêles. Comme apomorphie des Pompilinae, Anoplius marginatus possède une rangée de petites épines d’inégales longueurs sur les tibias postérieurs, celles des extrémités étant nettement plus longues. Les basitarses de la femelle sont dotés de 3 épines en forme de peigne, tandis que ceux en arrière du mâle sont hérissés tout le long de poils courts.

RÉFÉRENCES

Nouveaux souvenirs entomologiques. Jean-Henri Fabre. Paris: 1882,

1 Host Records for Some North American Pompilidae (Hymenoptera) First Supplement. Kurczewski Frank E., Kurczewski Edmund J. Journal of the Kansas Entomological Society, 1968, Vol.41(3), pp.367-382.

2 New Prey Records for Species of Nearctic Pompilidae (Hymenoptera). Kurczewski Frank E., Kurczewski Edmund J., Norton Roy A. Journal of the Kansas Entomological Society, 1987, Vol.60(3), pp.467-475.

3 Voltage-gated sodium channel isoform-specific effects of pompilidotoxins. Schiavon E, Stevens M, Zaharenko AJ, Konno K, Tytgat J, Wanke E. Source : Dipartimento di Biotecnologie e Bioscienze, Università di Milano-Bicocca, Milan, Italy. FEBS J. 2010 Feb;277(4):918-30. doi: 10.1111/j.1742-4658.2009.07533.x. Epub 2010 Jan 6.

4 Anoplin, a novel antimicrobial peptide from the venom of the solitary wasp Anoplius samariensis. Konno K, Hisada M, Fontana R, Lorenzi CC, Naoki H, Itagaki Y, Miwa A, Kawai N, Nakata Y, Yasuhara T, Ruggiero Neto J, de Azevedo WF Jr, Palma MS, Nakajima T. Biochim Biophys Acta. 2001 Nov 26;1550(1):70-80.

5 Flowering plants visited by Anoplius marginatus in illinois. Observations from Robertson, Graenicher, and Reed.