Geotrupes balyi Jekel 1865
Par Pedro Paulo CASTRO GRILLO et Alexandre MARCHAND-THERIAULT (édité par Étienne Normandin)
Geotrupes balyi Jekel 1865
Préparation et condition du spécimen:
Le spécimen a été capturé le 4 septembre 2014 aux environs de la Station Biologique des Laurentides de l’Université de Montréal. Il a été trouvé à proximité d’un sentier menant au lac Geai. Du fait de sa taille considérable et de la robustesse de son corps, son état de conservation était très satisfaisant.
L’identification:
L’identification du spécimen s’est fait initialement (au niveau de l’espèce) grâce au Guide d’identification: Les Insectes du Québec (Dubuc, 2007), le 9 octobre 2014, et ensuite confirmée au niveau de la famille Geotrupidae grâce à l’Atlas écologique des Coléoptères du nord-est de France le 19 octobre 2014 (Atlas écologique des Coléoptères du nord-est de France 2010). Les critères suivants ont permis son identification:
-Antennes latérales, formées par 11 segments, dont les 3 derniers sont asymétriques et plus volumineux que les autres.
-Labre fortement visible et proéminent, palpes maxillaires ayant 4 segments.
-Pronotum et élytres convexes, striation des élytres, scutellum triangulaire.
-Abdomen présentant 6 métamères.
-Pattes antérieures avec des tibias et fémurs fortement dentés.
-Pattes postérieures dont les tibias portent plusieurs carènes sur leur face externe.
Le descriptif du genre Geotrupes de la partie boréale de l’Amérique (Horn 1867) ne nous a que partiellement aidé à confirmer l’espèce, puisque que les critères d’identification étaient difficiles à discerner pour nous, ayant l’oeil peu expérimenté. Cependant, la comparaison avec les différentes espèces de la famille des Geotrupidés du Québec au sein de la Collection entomologique Ouellet-Robert (QMOR) à l’Institut de recherche en Biodiversité Végétale (IRBV) le 9 octobre 2014, a permis de confirmer la nomenclature de notre spécimen. Le démonstrateur et étudiant au doctorat en entomologie avec le professeur Colin Favret, Thomas Théry, a contribué au discernement des critères importants à vérifier lors de la comparaison des espèces présentes à la collection.
Position taxinomique de l’espèce (selon Integrated Taxonomic Information System 2012):
Règne: Animalia
Embranchement: Arthropoda
Classe: Insecta
Sous-classe: Pterygota
Infra-classe: Neoptera
Super-ordre: Holometabola
Ordre: Coleoptera Linnaeus 1758
Sous-ordre: Polyphaga Emery 1886
Infra-ordre: Scarabeiformia Crownson 1960
Super-famille: Scarabaeoidea Latreille 1802
Famille: Geotrupidae Latreille 1802
Sous-Famille: Geotrupinae Latreille 1802
Genre: Geotrupes Latreille 1797
Espèce: Geotrupes balyi Jekel 1865
Distribution géographique:
L’espèce Geotrupes balyi a été répertoriée dans l’est des États-Unis. Cette espèce est indigène du Canada et des États-Unis où on la retrouve régulièrement. Vingt-huit espèces de la famille des Geotrupidés ont été recensées en Amérique du Nord dont 13 au Canada. Geotrupes balyi est fréquemment retrouvée à l’est du Canada, dont au Québec et au Nouveau-Brunswick (Webster et al. 2012; Encyclopedia of Life 2011; Discover Life 2009)
Alimentation:
Les coléoptères du genre Geotrupes, (du grec ; « Geos » : terre, « trypetes » :creuseurs), s’alimentent de fèces d’animaux. Ils vont transporter leur aliment et, comme leur nom le précise, ils vont creuser dans le sol afin d’entreposer les fèces et y déposer leurs oeufs. (Plewinska 2007).
Ce genre d’insecte fait partie de la famille des Geotrupinés qui, tout comme la plupart des Scarabaeinés, vont transporter des quantités importantes d’excréments d’animaux en leur donnant une forme de boule. Cette boule va être roulée et poussée par leurs pattes postérieures et médianes, sur des distances considérables. Une fois arrivées dans un endroit propice, ces boules vont être enterrées pour ne pas attirer d’autres individus intéressés par le banquet (Bornemissza 1969; Bornemissza 1976; Hayakawa 1977)
Comme la plupart des coléoptères coprophages, les geotrupes ont développé des organes sensoriels extrêmement sensibles afin de pouvoir détecter des ressources alimentaires situées à de longues distances. Cette détection se fait par l’intermédiaire de produits chimiques émis par les excréments d’animaux, tels que le butanol, le phénol, le crésol, l’indole, et le scatole (Plewinska 2007; Inouchi et al. 1987)
Chez certains groupes de coléoptères, tels que les xylophages, des agglomérations massives se font autour de grandes quantités de ressources alimentaires. Ceci se fait grâce au développement de moyens de communication, comme les phéromones, agissant de manière intra-spécifique. Ces phéromones vont attirer les individus d’une même espèce vers la source de nourriture pour ainsi augmenter leurs chances de se trouver un partenaire sexuel et donc augmenter leur succès reproducteur (Jurc et al. 2012). Des agglomérations massives de géotrupes sont parfois observées, ce qui laisse croire que ce mécanisme d’attraction intra-spécifique est également utilisé chez les Geotrupidés (Galante et al. 1995)
Reproduction:
La construction du nid pour accueillir les œufs se fait en coopération par la femelle et le mâle. La majorité de la formation du nid est cependant assurée par la femelle. Lors de la copulation de plusieurs espèces du genre Geotrupes, le mâle agrippe la femelle en glissant ses pattes sur les élytres et le pronotum. Ensuite, il introduit son édéage dans la femelle pour une dizaine de minutes. La femelle se défait ensuite de l’emprise du mâle pour mettre fin à la copulation. Par la suite, elle se dirige vers le site de couvée du nid pour y pondre ses œufs. Les femelles des espèces de Geotrupes possèdent deux ovaires ainsi que six ovarioles par ovaire qui sont plus ou moins réduits selon l’espèce. Chaque ovariole produit au minimum un oocyte. Lorsque l’oocyte est mature, le petit pédicelle de l’ovariole qui est relié aux oviductes latéraux laisse alors passer les œufs en direction du vagin. Les femelles peuvent également emmagasiner le sperme des mâles à l’intérieur de leur spermathèque. Lorsque les conditions environnementales sont propices pour la formation de la progéniture, la contraction des muscles de la spermathèque permet d’expulser les spermatozoïdes et permettre ainsi la fécondation (Halffter et al. 1985, Whipple 2011, Nichols et al. 2008).
Le premier et le second stade larvaire durent environ dix jours chacun, tandis que le troisième stade larvaire ainsi que la nymphe durent 190 et 44 jours respectivement. L’adulte émerge après 30 à 40 jours en stade nymphal. Le cycle de vie complet dure de 303 à 313 jours, dont un développement embryonnaire de dix jours. Les excréments de la larve durant le troisième stade servent de composant pour la membrane de la nymphe qui est molle par endroits et rigide à d’autres endroits. Avant la nymphe, la larve pèse de 2,5 à 3,0 g, puis après la formation de la membrane de la nymphe, son poids chute à 0,5 g en raison de l’excrétion du contenu de son intestin. La larve s’allonge, mesurant 6 cm par 3 cm (Halffter et al. 1985).
Importance écologique et économique:
Tel que mentionné plus haut, cette espèce de coléoptère est coprophage, les individus étant également appelés « bousiers ». Les insectes coprophages sont d’une grande importance pour les milieux dont ils font partie. Leur alimentation composée de matières fécales provenant d’autres animaux, permet le recyclage de nombreux nutriments présents dans ces dernières. Ils jouent ainsi un rôle majeur dans la bioturbation des écosystèmes (Galante et al. 1995; Whipple 2011)
Les bousiers sont également considérés comme des agents de dispersion des graines contenues dans les excréments animaux. Du fait qu’ils ne consomment pas ces graines, elles vont rester enterrées et vont avoir de bonnes chances de germer ainsi qu’un engrais riche à cause des restes de fèces. Les bousiers vont donc contribuer grandement à la diversification végétale des milieux (D’hondt et al. 2008).
Leur alimentation exclusive tant pour les larves que pour les adultes, leur permet de faire compétition face à d’autres espèces considérées comme nuisibles pour les activités humaines, comme les larves coprophages mais ayant un imago hématophages, detrivores, ou parasitaires (ex: certaines espèces de diptères, nématodes, protozoaires). La présence des bousiers est donc considérée comme avantageuse, entre autres, par les éleveurs de bétail (Galante et al. 1995). Les États-Unis, avec 56% de leur bétail traité chimiquement pour le contrôle des diptères et des parasites internes, a évalué que l’économie en pesticides grâce aux bousiers s’élève à 380 millions de dollars annuellement (Losey et Vaughan 2006)
Du fait de la grande sensibilité des bousiers à la modification de leur habitat (fragmentation, perte de végétation), ou de la composition de leur alimentation, ils constituent des indicateurs naturels de l’état des milieux. Des relations entre une diminution de leur abondance et le niveau de pollution d’un milieu par exemple, peuvent être établies pour évaluer la « santé » d’un écosystème (Nichols et al. 2008).
Bibliographie:
Atlas écologique des Coléoptères du Nord-Est de France (2010) Famille Geotrupidae. [En ligne] http://www.sibnef1.eu/gb/coleoptera/Geotrupidae/family/descGeotrupidae.html (Consulté le 22 octobre 2014)
Bornemissza, G. F. 1969. A new type of brood care observed in the dung beetle Oniticellus cinctus (Scarabaeidae). Pedobiologia. Vol. 9. p. 223–225.
Bornemissza, G. F. 1976. The Australian dung beetle project 1965 – 1975. Rev. Aust. Meat Res. Comm. Vol. 30. p. 1-30.
D’hondt, B., B. Bossuyt, M. Hoffmann et D. Bonte. 2008. Dung beetles as secondary seed dispersers in a temperate grassland. Basic and Applied Ecology. Vol. 9.5. p. 542-549.
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Encyclopedia of Life. 2011. Geotrupes balyi. Overview. [En ligne]. http://eol.org/pages/18014323/overview. (Consulté le 26 octobre 2014).
Galante, E., J. Mena et C. Lumbreras. 1995. Dung beetles (Coleoptera: Scarabaeidae, Geotrupidae) attracted to fresh cattle dung in wooded and open pasture. Environmental Entomology. Vol. 24.5. p. 1063-1068.
Halffter, V., Y. López-Guerrero et G. Halffter. 1985. Nesting and ovarian development in Geotrupes cavicollis Bates (Coleoptera: Scarabaeidae). Acta Zool. Mex. Vol. 7. p.
Hayakawa,H. 1977. Pollution of cattle’s excreta in pastures and measure to it using dung beetles. Effects of dung beetles and ecology of them. Chikusan-no-kenkyu 31: 596-602 (in Japanese).
Horn, G. H. 1867. Geotrupes of Boreal America. Transactions of the American Entomological Society (1867-1877). Vol. 1. p. 313-322.
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Losey, J. E. and M. Vaughan. 2006. The economic value of ecological services provided by insects. BioScience. Vol. 56. p. 311–323.
Nichols, E., S. Spector, J. Louzada, T. Larsen, S. Amezquita et M. E. Favila. 2008. Ecological functions and ecosystem services provided by Scarabaeinae dung beetles. Biological Conservation. Vol. 141.6. p. 1461-1474.
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Yves Dubuc. 2007. Guide d’identification: Les insectes du Québec. Broquet. 456 pages.