Necrodes surinamensis (Fabricius 1775)
– UN PARTISAN DE LA MORT –« Red-lined carrion beetle »
Texte, photographies, illustrations et identification du spécimen par
Muriel DESLAURIERS
Emmanuelle PELLETIER
Texte et figures (sauf si indiqué) CC BY-SA 2018, par les auteures.
L’espèce, récoltée le 6 septembre 2018 à la Station de biologie des Laurentides de l’Université de Montréal, a été décrite pour la première fois, sous le genre Silpha, en 1775 par Johan Christian Fabricius, un entomologiste danois, dans son ouvrage « Systema entomologiae ». Necrodes surinamensis est un large coléoptère nécrophage de la famille des Silphidae. On le connaît sous le nom de « Red-Lined Carrion Beetle » ou plus rarement sous le nom de « Surinam Carrion Beetle ». Ce charognard mesure 2 cm de long en moyenne. Il est actif la nuit et parcourt tel un vagabond les carcasses d’animaux morts se nourrissant de la chair en décomposition et des asticots qui s’y trouvent. Les mâles et les femelles se reproduisent dans la crâne ou la cavité thoracique du cadavre (Shubeck, 1971). Les œufs sont ensuite déposés sur la surface du sol ou sur la carcasse de l’animal. Lorsque que la carcasse n’offre plus de ressources intéressantes, N. surinamensis vole à la recherche d’une nouvelle mort à proximité (Welton et Fleenor, 2003).
IDENTIFICATION
Cette espèce se retrouve dans l’ordre des Coleoptera – facilement identifiable grâce aux ailes antérieures durcies en élytres – et dans la famille des Silphidae. Les antennes des Silphidae sont particulières par ses 4 segments à leurs extrémités plus larges que les autres et formant un « club » distinct. Les élytres de cette famille sont souvent noirs et oranges et le corps de l’insecte mesure plus de 12 mm, comme il est visible sur le spécimen. Également, le scutellum est lisse et sans stries, les palpes des pièces buccales sont longs et évidents et plus de quatres segments sont visibles sur l’abdomen. Finalement, trois terga sont exposés sous les élytres et la tête est dépourvue d’ocelles (voir clé d’identification des Coleoptera). L’espèce elle-même est identifiable grâce à son pronotum complètement noir et glabre – tout comme sa tête – et ses élytres non-tronqués (Figures 2,3,4) (Majka, 2011).
CLASSIFICATION
Embranchement Arthropoda
Sous-embranchement Hexapoda
Classe Insecta
Ordre Coleoptera
Sous-Ordre Polyphaga
Infra-Ordre Staphyliniformia
Super-Famille Staphylinoidea
Famille Silphidae
Sous-Famille Silphinae
Genre Necrodes
Espèce Necrodes surinamensis (Fabricius, 1775)
OÙ TROUVER CETTE ESPÈCE?
La distribution de N. surinamensis est relativement vaste. Le coléoptère se retrouve un peu partout en Amérique du Nord. Cette espèce est indigène des zones tempérées. Elle se trouve principalement dans les provinces du Canada et dans les régions nord et est des États-Unis (Figure 6). Il n’est toutefois pas impossible de la trouver dans les zones tropicales soit possiblement au Mexique et rarement dans le nord de l’Amérique du Sud. Ce sera plutôt des espèces endémiques pour ce type de région. Leur absence en climat tropical pourrait être expliquée par l’occupation de leur niche écologique par d’autres charognards retrouvés dans ces régions. Également, N. surinamensis est une espèce se nourrissant des asticots sur les carcasses d’animaux – le plus souvent des mammifères – et parfois des carcasses elles-mêmes et d’excréments. Dans un climat trop chaud, les animaux morts ne subsistent pas assez longtemps pour compléter le développement du coléoptère. Les carcasses sont soit consommées par les vautours, les fourmis et les mouches, ou réduites par dessiccation par le soleil en quelques heures. Son habitat reste très varié considérant sa distribution assez large allant des température de -20 °C en hiver jusqu’au climat chaud et humide de l’Amérique de Sud (Ratcliff, 1972). Il reste plusieurs incertitudes concernant sa distribution étendue en raison des efforts d’échantillonnages limités en régions tropicales.
DE L’OEUF À L’ADULTE
Insecte nécrophage, N. surinamensis possède un odorat très performant avec lequel il peut détecter un cadavre fraîchement mort à des kilomètres et ce, grâce à de puissants chimiorécepteurs présents dans les antennes. De ce fait, il complète son cycle de vie sur la carcasse ou juste aux côtés de celle-ci. Ce substrat, utilisé pour son alimentation, est aussi exploité pour des fins de reproduction (Mougeat, 2012). La reproduction entre un mâle et une femelle N. surinamensis a lieu à proximité ou sur une carcasse. Cette espèce se reproduit à de multiples occasions, lorsqu’elle entre en contact avec le sexe opposé. Comme il n’y a généralement pas de dimorphisme sexuel, le sexe doit être confirmé au contact physique de l’individu. Une fois la copulation effectuée et les oeufs développés dans la femelle, celle-ci les déposent un à un sur la carcasse ou sur le sol à ses côtés. Comme la ponte perdure sur quelques jours, les larves d’insectes retrouvés sur la même carcasse sont donc à des phases différentes de leur développement. Les oeufs prennent avec le temps la couleur du sol sur lequel ils se retrouvent, leurs conférant une rigidité et les protégeant jusqu’à un certain point des prédateurs. En général, les oeufs éclosent après deux à quatre jours et les larves cherchent immédiatement à se nourrir. La première mue s’effectue ensuite après un à plusieurs jours, dépendemment des conditions climatiques. Il s’en suit ensuite deux autres mues, puis la larve de quatrième stade s’éloigne de la carcasse pour commencer la nymphose en passant par un stade de pupe de pharate, sous le sol ou des débris, pour 12 à 17 jours. L’adulte y émerge ensuite et retourne à la carcasse animale, pour vivre de quelques jours jusqu’à quelques semaines (Figure 7). Les conditions climatiques et la vitesse d’altération du cadavre restent des facteurs limitant au développement larvaire (Ratcliff, 1972).
NECRODES SURINAMENSIS, EN DANGER?
Les larves de N. surinamensis sont les proies de quelques prédateurs agiles, qui les attrapent sur les carcasses sur lesquelles ils vivent. Lors de la mue de la larve, celle-ci est particulièrement vulnérable et devient une source de nourriture facile pour d’autres espèces de coléoptères dans les familles des Staphylinidae, Histeridae et Silphidae (la même famille que N. surinamensis!). Quant aux oeufs et aux nymphes de l’espèce, ils peuvent servir de repas pour entre autres des coléoptères, des acariens et même des fourmis. Pour l’adulte, les prédateurs principaux sont les amphibiens, reptiles et petits mammifères insectivores (Ratcliff, 1972).
UN COLÉOPTÈRE QUI SAIT SE DÉFENDRE
Lorsqu’un N. surinamensis adulte se sent en danger, son moyen de défense principal consiste à éjecter un liquide brun par son anus sous le principe d’un vaporisateur (Roach, Eisner et Meinwald, 1990), une caractéristique unique à l’espèce. En effet, une seule glande produit une substance composée d’acides aliphatiques et d’alcools terpéniques qui repousse, grâce à son odeur désagréable, les prédateurs à la chasse. Le bout de l’abdomen de ce Silphidae peut faire une rotation dans toutes les directions permettant au liquide de toujours atteindre le sujet mettant sa vie en danger. L’étude de Eisner et al. (1985) décrit les effets des produits présents dans le liquide éjecté. L’article propose que des substances nommés « necrodols α et β », un type de monoterpène, soit en partie responsable de l’effet répulsif et irritant de la sécrétion, en plus, entre autres, d’acide octanoïque (Eisner, Deyrup, Jacobs, et Meinwald, 1985). Chez la larve, ce liquide ne peut pas être éjecté avec force, laissant comme seul moyen de défense de se tordre frénétiquement. L’adulte N. surinamensis est également connu pour son déplacement à la course assez rapide lorsqu’elle choisit de fuire plutôt que de se battre (voir démonstration de la course de N. surinamensis). Le coléoptère choisit plus souvent ce moyen de transport plutôt que le vol en situation dangereuse (Ratcliff, 1972).
DES INSECTES MACABRES!
Malgré toutes les éventualités dans la vie d’une espèce animale, celle-ci y trouve inévitablement la mort. Moment funèbre pour certains, cette mort apporte pourtant une vraie étendue de vie, une continuité sans précédent. Une carcasse deviendra rapidement l’hôte d’une multitude d’organismes dont les insectes nécrophages. Un écosystème sans pareil qui héberge majoritairement des diptères et des coléoptères. Ces derniers colonisent de manière successive la carcasse selon les odeurs particulières et spécifiques dégagées au cours de la détérioration du corps (Masselin, 1995). Ainsi, les insectes se succèderont en vague depuis la mort jusqu’à la dessiccation complète du corps. Comme les Necrodes surinamensis sont friands d’asticots (larves de diptères), on les retrouve sur des carcasses d’animaux incluant les corps humains en décomposition (voir vidéo de l’espèce sur une carcasse de cochon). Plusieurs insectes opportunistes se retrouvent donc sur les scènes de crime, pour profiter de la chair de la carcasse ou de la quantité phénoménale de larves. Cette tendance est utilisée dans un domaine de la criminologie: l’entomologie forensique (pour plus amples informations, veuillez consulter le vidéo ci-dessous). La présence des insectes est utilisée pour déterminer, entre autres, l’heure de la mort, la cause de la mort et le déplacement du corps (Joseph, Mathew, Sathyan et Vargheese, 2011). Moins étudié en entomologie forensique que les diptères, les coléoptères font partie intégrante de l’écosystème du cadavre. Le potentiel des Silphinae en entomologie forensique provient de leur préférence pour des carcasses de grande taille. Les Silpha interviennent au stade de la fermentation ammoniacale soit la liquéfaction noirâtre des tissus. Ils prennent donc domicile chez le cadavre 4 à 8 mois après la mort de l’individu (Masselin, 1995).
Références
Barrentine, C. (11 juillet 2009). Red-lined burying Beetle (Silphidae: Necrodes surinamensis?) Running [Vidéo en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=SPsWTQFdoJI
Beirne, S.M. (2012). Distribution of Carrion Beetles (Coleoptera : Silphidae) in Different Geographic Regions of Virginia (Thèse de mémoire, Virginia Polytechnic Institute and State University, Blacksburg). Repéré à https://vtechworks.lib.vt.edu/bitstream/…/Beirne_SM_T_2013.pdf?
Eisner, T., Deyrup, M., Jacobs, R., & J. Meinwald. (1986). Necrodols: Anti-insectan terpenes from defensive secretion of carrion beetle (Necrodes surinamensis). Journal of Chemical Ecology, 12(6), 1407‑1415. Repéré à https://doi.org/10.1007/BF01012360
ForensicEnto. (14 mars 2013). Forensic Entomology – death feeding insects [Vidéo en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=PSOCbJXWhK8
Joseph, I., Mathew, D. G., Sathyan, P., & G. Vargheese. (2011). The use of insects in forensic investigations: An overview on the scope of forensic entomology. Journal of forensic dental sciences, 3(2), 89-91. Repéré à https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3296382/
Majka, C.G. (2011). The Silphidae (Coleoptera) of the Maritime Provinces of Canada. Journal of the Academy of the Entomological Society, 7, 83-101. Repéré à https://scholar.google.com/scholar_lookup?hl=en&publication_year=2011&pages=83-101&author=C.G.+Majka&title=The+Silphidae+%28Coleoptera%29+of+the+Maritime+Provinces+of+Canada
Masselin, P. (1995). Entomologie et médecine légale. Insectes, 97, 7-10. Repéré à https://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i97masselin.pdf
Mougeat, K. (2012). L’entomologie forensique (Thèse de doctorat, Université de Nantes, France). Repéré à archive.bu.univ-nantes.fr/pollux/fichiers/…/dba65e7f-5cb8-4285-bedc-c24b395f074f
National Geographic. (30 octobre 2014). The bugs that decompose our bodies and help solve CSI secrets [Vidéo en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=vwj-fvoLJ3M
Ratcliffe, B. (1972). The Natural History of Necrodes Surinamensis (Fabr.) (Coleoptera: Silphidae). Transactions of the American Entomological Society (1890-), 98(4), 359-410. Repéré à http://www.jstor.org/stable/25078118
Roach, B., Eisner, T. & J. Meinwald. (1990). Defense Mechanisms of Arthropods. 83. a- and b-Necrodol, Novel Terpenes from a Carrion Beetle (Necrodes surinamensis, Silphidae, Coleoptera). Journal of Organic Chemistry, 55, 4047-4051.
Scudder, G.G.E. & R.A. Cannings. (2005). Key to Families of Coleoptera. The University of British Columbia (UBC), Departement of Zoology. Repéré à http://www.zoology.ubc.ca/bcbeetles/Text%20files/coleoptera%20keys.htm
Shubeck, P.P. (1971). Diel Periodicities of Certain Carrion Beetles (Coleoptera: Silphidae). The Coleopterists Bulletin, 25(2), 41-46. Repéré à http://www.jstor.org/stable/3999555
Watson, E. J. & C. E. Carlton. (2005). Succession of Forensically Significant Carrion Beetle Larvae on Large Carcasses (Coleoptera : Silphidae). Southeastern Naturalist, 4(2), 335-346. Repéré à http://www.bioone.org/doi/abs/10.1656/1528-7092%282005%29004%5B0335%3ASOFSCB%5D2.0.CO%3B2
Welton Taber, S. & S.B. Fleenor. (2003). Insects of the Texas Lost Pines. (1e éd.) College Station : Texas AE-M University Press.