Neotibicen canicularis (Harris 1841)
Par Amélie BROCHERIEUX et ANONYME
Texte et figures (sauf si indiqué) CC BY-SA 2018, par les auteures.
Le spécimen de notre étude a été récolté mort à proximité l’entrée de l’Avenue Claude-Champagne du pavillon Marie-Victorin (45.511, -73.610), le 6 septembre 2018. Il s’agit d’une cigale caniculaire, décrite pour la première fois par T.W. Harris en 1841 et nommée Tibicen canicularis.
Taxonomie
Embranchement Arthropoda
Classe Insecta
Ordre Hemiptera
Sous-ordre Auchenorrhyncha
Super famille Cicadoidea
Famille Cicadidae
Genre Tibicen (Latreille 1825)
Nouveau genre Neotibicen (Hill & Moulds 2015)
Espèce Neotibicen canicularis (Harris 1841)
Nom commun Cigale caniculaire (fr.), Dog-day cicada (en.)
Identification par étude de l’anatomie externe
Une espèce de l’ordre des Hemiptera
L’observation des pièces buccales du spécimen a permis de déterminer sa classe et son ordre. C’est un animal ectognathe, il est donc classé chez les Insecta (Nowak, 2010). Il présente, de plus, les caractères apomorphiques des Hempitera avec des pièces buccales exemptes de palpes et modifiées en rostre de type piqueur suceur (Fig. 2).
L’étude approfondie des ailes du spécimen confirme son appartenance au groupe des Hémiptères puisqu’il en possède deux paires apparentes et capables de se replier dans deux axes (Fig. 1 & 3). Ces ailes membraneuses, transparentes et peu nervurées sont de taille différente, la longueur des antérieures représentant au moins 4/3 de celle des postérieures (Fig. 3).
Une espèce de la famille des Cicadidae
Les ouvrages utilisés pour identifier la famille de ce spécimen sont ceux de Roth (1980) ainsi que la clef d’identification de Johnson et Triplehorn (2004).
Cet insecte, dont le rostre sort de l’arrière de la tête et suit le thorax (opistognathe) (Fig. 2), porte des antennes courtes et fines comme des poils (Fig. 4) et ses tarses sont composés de 3 segments (Fig. 5) ; ces caractères morphologiques permettent de le classer dans le sous-ordre des Auchenorrhyncha.
L’étude plus précise de la tête et des ailes révèle l’absence de 3 caractères : la carène verticale saillante entre les antennes, les tegulae à la base des ailes et les nervures Y de la partie anale de l’aile antérieure (Fig. 3), ce qui indique que le spécimen est apparenté à la super-famille de Cicadoidea.
Le spécimen porte 3 ocelles sur le haut de la tête, entre les deux yeux (Fig. 4), permettant de le rattacher à la famille Cicadidae. Ceci est confirmé d’une part, par la position des ailes au repos, en tente par-dessus l’abdomen sans chevauchement, par leur texture, membraneuse uniforme, et, d’autre part, par l’absence de prédispositions pour le saut (Fig. 1).
Une espèce du genre Tibicen
L’identification du genre du spécimen s’appuie à la fois sur la clef d’identification des cigales d’Amérique du Nord, publiée par Moore (2001), et sur l’article de Sanborn et Phillips (2013) qui précise que 2 genres de Cicadae sont présents au Québec.
Ce spécimen d’environ 30mm et aux yeux foncés (Fig. 1 & 4) est une femelle puisqu’il ne possède pas de timbales mais un ovipositeur (Fig. 2). L’observation latérale de l’abdomen met en évidence quelques taches blanches qui sont cependant absentes au niveau de l’apex (Fig. 1 & 2).
Ses ailes antérieures mesurent 35mm de long soit 2,6 fois la largeur de la tête (13mm) (Fig. 3 & 4). Leur bord costal, non incurvé, n’est épaissi que sur une partie. Les nervures sont de couleurs brunes et vertes. La comparaison des 2 cellules basales de l’ailes montre que la ‘centrale’ est plus allongée que la ‘costale’ (la zone d’intersection des nervures M et Cu est plus éloigné que l’apex de la cellule basale ‘costale’) (Borror & al., 1989) (Fig. 3). Surplombant la base des ailes, le mésonotum est sans relief. Le pronotum, vert et noir, épouse la forme de la tête sans créer de proéminences latérales triangulaires (Fig. 4).
L’ensemble de ces caractéristiques permet de classer le spécimen dans le genre Tibicen qui compte 38 espèces réparties dans l’Est du Canada, dans le Nord du Mexique et partout aux Etats-Unis à l’exception de l’Ouest.
L’espèce N. canicularis
La clef d’identification des cigales du Michigan, complétée par l’article de Sanborn et Phillips (2013) qui précise qu’une seule espèce de Tibicen est présente au Québec, a permis de nommer notre spécimen.
En effet, la longueur totale de l’insecte (ailes incluses) (42mm) (Fig. 1), la couleur du collier pronotal (marron et vert) (Fig. 4), la présence d’une ligne médiane noire sous l’abdomen (Fig. 2) et l’origine de la première nervure transversale de l’aile antérieur (à ¼ du début de la case marginale) (Fig. 3), ajoutés aux caractères précédents, permettent de déterminer qu’il s’agit d’une femelle de l’espèce Tibicen canicularis. En 2015, suite à des analyses génétiques, les espèces du genre Tibicen ont été reclassées dans de nouveaux genres. Ainsi, T. canicularis a été renommée Neotibicen canicularis (Hill & al., 2015).
Répartition géographique
N. canicularis est une cigale native du Mexique et de l’Amérique du Nord (Figure 6) qui peut donc être observée au Québec (Sanborn & Phillips, 2013).
Reproduction & Cycle de développement
La sérénade, une caractéristique de la cigale
Au moment de la reproduction, les adultes se reconnaissent grâce à des signaux acoustiques (Resh & Cardé, 2003). Le mâle émet un chant nuptial pour repérer les femelles qui lui répondent entre Mai et Novembre (Clef d’identification des cigales d’Amérique du Nord).
Le mâle possède des timbales, membranes positionnées de chaque côté du premier segment abdominal, cachées par des opercules et reliées à un muscle abdominal. La succession des contractions et des relâchements musculaires fait vibrer la membrane de la timbale produisant des signaux sonores. Le son émis varie avec la force et l’intensité des contractions. Les mâles N. canicularis produisent un son aigu, s’intensifiant d’abord avant de s’atténuer progressivement. Le genre Tibicen possède le chant le plus intense d’Amérique du Nord, pouvant atteindre 106 décibels (Agriculture et Agroalimentaire Canada, 2010).
L’accouplement et la ponte
Le mâle se déplace, en marchant ou en volant, tout en produisant des signaux acoustiques jusqu’à recevoir ceux émis par une femelle. La copulation se produit lorsque le mâle introduit son organe reproducteur à la base de l’ovipositeur (Fig. 2) (Resh & Cadré, 2003).
La femelle fécondée pond, grâce à son ovipositeur, dans une saignée qu’elle a creusé dans l’écorce d’un arbre pour assurer leur protection avant leur migration vers le sol (Boulard, 1988).
Le développement des larves
Les œufs se laissent tomber de la branche par un fil de soie et éclosent au sol, c’est la première mue. La larve acquiert alors l’usage de leurs pattes pour s’enfouir dans le sol et un appareil buccal de type piqueur-suceur (Boulard, 1988). Pendant leur période souterraine, la larve aveugle creuse des galeries, se nourrit de la sève des racines et tiges souterraines, mue plusieurs fois pour acquérir progressivement les pièces génitales, les ailes et les organes sensoriels (visuels).
Elles vivent sous terre entre 2 et 5 ans. Aveugles, elles se déplacent par chimiotropisme à la recherche de nourriture et creusent, grâce à des pattes antérieures fouisseuses, des galeries qu’elles façonnent en mouillant la terre de leur urine (Boulard, 1988).
Après leur dernière mue, les larves se teintent de brun, leurs yeux se pigmentent et elles creusent des galeries en direction de la surface. Leur période d’émergence dépend de la température estivale (Agriculture et Agroalimentaire Canada, 2010). Une fois sortie, elles partent en quête d’un support où se fixer afin de se métamorphoser. (Boulard, 1988)
Ainsi agrippée, tête vers le haut ou dos vers le sol, la cigale fend sa peau larvaire afin de s’en extraire. Une fois sortie, la cigale reste immobile pendant près de 3h avant de prendre leur envol, afin que son exosquelette se rigidifie et que ses ailes se déploient et sèchent (Boulard, 1988).
Le cycle de développement de N. canicularis se réalise généralement sur une période de 2 à 5 ans mais peut atteindre 13 ans (Agriculture et Agroalimentaire Canada, 2010). Toutefois, ces insectes sont dits ‘annuels’ puisque des adultes émergent chaque année, dû à un chevauchement des générations (Cranshaw & Shetlar, 2017). A l’inverse, les cigales périodiques émergent toutes au même moment, et ont souvent des cycles de 13 ou 17 ans (Agriculture et Agroalimentaire Canada, 2010).
Mode de vie
Alimentation
Larves et adultes consomment la sève des plantes hôtes, au niveau des branches, de la tige et des racines qu’ils sélectionnent en fonction de caractéristiques visuelles et/ou chimiques. Piqueurs-suceurs, ils introduisent leur rostre dans les cellules du tissu de la plante hôte pour les vider de leur contenu. Phytophage généraliste, N. canicularis a une préférence pour les espèces appartenant principalement aux Pinacea (pins, épinettes…) et aux Pagacea (chênes, hêtres…) (Discover Life).
Interactions avec d’autres organismes
Lors de leur métamorphose, les cigales immobiles, sans défense, sont des proies pour les fourmis et les guêpes (Boulard, 1988).
Durant leur cycle de développement, les cigales interagissent avec certaines espèces végétales en se nourrissant de leur sève.
Importance économique et/ou écologique
Lors de la ponte, les cigales endommagent les branches des plantes ayant été incisées. Si le nombre de cavité percées est trop importante, la croissance de l’arbre et la production de fruits peut alors être retardées l’année suivante (Agriculture et Agroalimentaire Canada, 2010).
Bibliographie
Agriculture et Agroalimentaire Canada (2010). Cigales. Repéré à l’URL : http://www.agr.gc.ca/fra/science-et-innovation/centres-de-recherche-et-collections/collection-nationale-canadienne-d-insectes-d-arachnides-et-de-nematodes-cnc/contenu-archive-cigales-1-de-46/?id=1229021431446
Borror, D.J., Triplehorn, C.A., & Johnson, N.F. (1989). An introduction to the Study of Insects (6th edition). Fort Worth : Saunders College Publishing. 875pp
Boulard, M. (1988). Biologie et comportement des cigales de France. Insectes, 69, pp.7-13. Repéré à l’URL : https://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i69boulard.pdf
Cranshaw, W., & Shetlar, D. (2017). Garden Insects of North America: The Ultimate Guide to Backyard Bugs (2nd Edition). New Jersey : Princeton University Press. Repéré à l’URL : https://books.google.ca/books?id=4KYxDwAAQBAJ&pg=PA408&dq#v=onepage&q&f=false*
Hill, K.B.R., Marshall, D.C., Moulds, M.S., & Simon, C. (2015). Molecular phylogenetics, diversification, and systematics of Tibicen Latreille 1825 and allied cicadas of the tribe Cryptotympanini, with three new genera and emphasis on species from the USA and Canada (Hemiptera : Auchenorrhyncha : Cicadidae). Zootaxa, 3985 (2), pp. 219-251. Repéré à l’URL : http://www.mapress.com/zootaxa/2015/f/zt03985p251.pdf
Johnson, N.F., & Triplehorn, C.A. (2004). Borror and DeLong’s Introduction to the Study of Insects (7th édition). Etats-Unis : Cengage Learning.
Nowak, J. (2010). Clef d’identification : les classes d’Hexapodes et les ordres d’insectes. Repéré à l’URL : https://entomologic.jimdo.com/les-ordres-d-insectes/
Resh, V. H., & Cardé, R. T. (2003). Encyclopedia of Insects. Londres: Elsevier. Repéré à l’URL : https://books.google.ca/books?id=Ip57QSMCRk4C&pg=PA66&dq#v=onepage&q&f=false
Roth, M. (1980). Initiation à la morphologie, la systématique et la biologie des insectes (réimpression). France, Paris : O.R.S.T.O.M. Editeur. Repéré à l’URL : http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_6/Idt/06761.pdf
Sanborn, A.F., & Phillips, P.K. (2013). Biogeography of the Cicadas (Hemiptera: Cicadidae) of North America, North of Mexico. Diversity, 5, pp. 166-239. Repéré à l’URL : https://www.cicadamania.com/downloads/diversity-05-00166.pdf