Aeshna eremita (Scudder 1866)

Aeshna eremita (Scudder 1866)

Aeshne porte-crosse

Par Angélique Elluard et Mélanie Lépine (édité par Étienne Normandin)
Texte ©2014 CC BY-SA 4.0, les auteurs

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Figure 1 : Spécimen capturé à la Station de Biologie des Laurentides près du Lac Triton le 4 septembre 2014 © les auteurs.

Classification (1)
Ordre Odonata
Sous-ordre Anisoptera
Famille Aeshnidae
Genre Aeshna
Espèce Aeshna eremita

Où se situe cette mystérieuse Aeshna eremita dans la classification?

On connaît tous très bien les libellules et les demoiselles, mais on ne connaît pas vraiment les caractéristiques qui les différencient entre elles. En effet, on retrouve dans l’ordre des Odonates ces deux sous-ordres bien distincts : les anisoptères et les zygoptères. On les dissocie entre autres par leurs ailes. Les zygoptères possèdent des ailes antérieures et postérieures identiques qui se replient l’une contre l’autre au repos. Au contraire, les anisoptères possèdent des ailes antérieures et postérieures asymétriques : leurs ailes postérieures sont plus larges à la base que leurs ailes antérieures (2). De plus, lorsqu’au repos, ces ailes sont disposées à plat de chaque côté de l’insecte. Comme on peut le voir sur la Figure 1, notre insecte mystère est bel et bien du sous-ordre des anisoptères. Pour ce qui est de la famille Aeshnidae, elle englobe des espèces de grande taille soit de plus de 70 mm qui ont un vol puissant et qui possèdent des yeux qui se touchent sur une bonne distance sur le dessus de la tête, comme le démontre la Figure 4 (3). Cette famille se caractérise également par la position de certaines parties des ailes. En effet, tel qu’illustrés dans la Figure 2, les triangles des ailes antérieures et postérieures sont placés à égale distance de l’arculus et ils sont orientés vers l’apex (2). Finalement, c’est dans cette famille qu’on retrouve le genre Aeshna qui se distingue des autres par la présence d’une double ramification de la cinquième nervure costale radiale donc au niveau du haut et de l’apex de l’aile (Figure 2) (2). L’espèce Aeshna eremita se trouve donc à cet endroit dans la classification.

ailes arculus-triangle-double ramification
Figure 2 : Ailes antérieure et postérieure d’Aeshna eremita. L’arculus est représenté en rouge, les triangles en bleu et la nervure à double ramification en mauve.   © Dennis Paulson, autorisation d’utiliser l’image. Modifiée par les auteurs.

Comment se caractérise cette espèce?

Aeshna eremita est la plus grosse espèce du genre Aeshna : les mâles peuvent atteindre une longueur de 75 mm et les femelles de 73 mm (4). De plus, les ailes ont toujours une longueur supérieure à 40 mm (2). Ces dernières se distinguent bien des autres par la position du début de la nervure radiale postérieure supplémentaire qui est sous le premier tiers du ptérostigma (2). Cette nervure est représentée en orange sur la Figure 3.

pterostigma
Figure 3 : Ailes antérieure et postérieure d’Aeshna eremita démontrant les ptérostigmas et les nervures radiales postérieures supplémentaires en orange. © Dennis Paulson, autorisation d’utiliser l’image. Modifiée par les auteurs.

Aeshna eremita possède une bande noire, épaisse et horizontale sur son front appelée bande frontoclypéale présentée à la Figure 4 (2). De plus, deux caractéristiques la différencient de Aeshna canadensis, son visage de couleur jaune-vert et son absence de points sur l’abdomen (4).

bande frontoclypéale
Figure 4 : Tête de Aeshna eremita avec ses yeux composés se joignant sur le dessus et sa bande frontoclypéale épaisse. © Karl McFarland, autorisation d’utiliser l’image.

D’autres bandes lui sont également caractéristiques comme celles sur son thorax qui ont une couleur bleu-verdâtre (5). La première bande mésothoracique antérieure est complète. Les autres bandes du ptérothorax sont relativement larges et sont aussi complètes. Il peut également y avoir de petites taches plus pâles entre les bandes thoraciques (Figure 5) (2).

bandes thoraciques
Figure 5 : Bandes thoraciques bleu verdâtre de Aeshna eremita. La bande à l’extrême droite est la bande mésothoracique antérieure. © Dennis Paulson, autorisation d’utiliser l’image. Modifiée par les auteurs.

Quand, où et dans quels milieux la retrouve-t-on ?

Aeshna eremita se retrouve dans une grande partie de l’Amérique du Nord. Elle occupe d’est en ouest le Canada, de la partie est de l’Alaska à Terre-Neuve et auLabrador. Au sud, plusieurs états du Nord des États-unis limitent son aire de répartition : Minnesota (6), Michigan, Washington, Dakota du Nord, Utah, Colorado (4) et New-York (6). On la retrouve donc davantage dans les régions boréales (4). Au Québec, on peut rencontrer cette magnifique espèce aussi bien dans les Laurentides qu’au Lac St-Jean ou en Abitibi (5). C’est d’ailleurs l’espèce d’Aeshna qui s’adapte le mieux à tous les types de lacs (5). Elle se retrouve fréquemment près des lacs boisés, des étangs, des marais, des tourbières, des cours d’eau lents et où la végétation est plutôt clairsemée (6). Au repos, cette espèce adopte une position verticale et se pose sur les troncs d’arbres ou les branches de préférence (6). On peut bien les observer au lever et au coucher du soleil, quand la lumière est plutôt faible et que les températures sont plus froides (4). Pour ce qui est de sa métamorphose, elle débute généralement vers la mi-juin (4).  C’est vers la mi-juillet que les femelles commencent à pondre et que les mâles recherchent activement à se reproduire (5). On les voit voler jusqu’à la fin octobre, mais la période où elles sont en plus grand nombre est au début du mois juillet jusqu’au début du mois de septembre (4).

Comment et de quoi Aeshna eremita se nourrit-elle ?

Un fait intéressant chez les libellules, y compris celles du genre Aeshna, c’est le mode d’alimentation des larves. Les larves sont carnivores, elles se servent de leur labium modifié pour capturer des proies. Le labium est replié sous la tête de la larve et lorsqu’une proie passe, elle peut projeter très rapidement cette pièce buccale pour l’attraper (7). Ses palpes labiaux en forme de pince l’aide grandement dans sa quête de nourriture (http://www.youtube.com/watch?v=g7Q0IXBM-4M). Chez les larves de la famille des Aeshnidae, les palpes sont courts et précis (7). Tout comme les autres libellules, les espèces du genre Aeshna sont des prédatrices et capturent leurs proies en plein vol. Leur thorax est dirigé vers l’avant permettant une meilleure capture des proies à l’aide des leurs pattes (Figure 6).

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Figure 6: Thorax ayant une rotation vers l’avant pour la capture des proies © Nate Kohler, autorisation d’utiliser l’image.

Elles se nourrissent principalement de petits diptères et de moustiques (8) de même que de lépidoptères et d’éphéméroptères (5). Les Aeshnidae se nourrissent aussi de proies plus volumineuses comme de trichoptères et même d’autres libellules ou demoiselles. Étant donné la nature de leurs proies, les libellules semblent intéressantes pour la lutte contre des espèces nuisibles (8).

Quel est le cycle de vie de cette belle libellule ?

Les mâles de l’espèce A.eremita volent rapidement au-dessus du littoral et restent habituellement au-dessus ou près de l’eau. En effet, ils vont dans la végétation dense seulement lorsqu’ils sont à la recherche de femelles (6). Au bout de l’abdomen, les mâles ont des appendices anaux qui sont constitués d’une paire de cerques et d’un épiprocte (Figure 7).

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Figure 7:  Appendices anaux du mâle A. eremita, épiprocte au centre et cerques de chaque côtés © Nate Kohler, autorisation d’utiliser l’image.

Ces appendices servent à attraper la femelle derrière la tête lors de l’accouplement. Le mâle produit du sperme à partir de glandes près de l’extrémité de son abdomen, il doit ensuite transférer le sperme dans un organe accessoire situé sur la face inférieure des segments 2 et 3. Les femelles, de leur côté, portent leurs organes génitaux sur la face inférieure des segments 8 et 9 (Figure 8)

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Figure 8: Segmentation de l’abdomen d’une Odonate © BiodiversidadVirtual, autorisation d’utiliser l’image. Modifiée par les auteurs.

Lors de l’accouplement, elles placent cette partie de leur abdomen face aux segments 2 et 3 du mâle (Figure 9).

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Figure 9: Accouplement chez le genre Aeshna, © Christine Hanrahan, autorisation d’utiliser l’image.

Les femelles peuvent être lignées bleues ou vertes et elles ont des cerques relativement larges comparativement aux mâles. Les femelles ont de larges ovipositeurs qui sont constitués de trois paires de valves dentelées utilisées pour faire des incisions dans le tissu des plantes pour y pondre les œufs (9). Elles pondent généralement sur des morceaux de bois flottant à la surface de l’eau, sur des tiges émergentes de plantes aquatiques ou directement sous la surface de l’eau (6). Les larves sont aquatiques et robustes, elles respirent par des branchies situées à l’intérieur de l’abdomen. De plus, elles se nourrissent d’insectes et parfois de petits poissons. À l’éclosion des œufs, les larves sortent et grandissent progressivement en changeant d’exosquelette (mues) afin remplacer celui qui est trop petit par un nouveau plus grand. Le stade larvaire peut durer plusieurs années. Quand celles-ci arrivent au dernier stade de mue, elles entreprennent leur métamorphose (9), vers la mi-juin habituellement (5) (https://www.youtube.com/watch?v=wUvv4sJnMek). Pendant cette métamorphose, elles vont développer tous les organes nécessaires à la vie adulte sur terre et dans les airs et c’est lorsque le développement est à point qu’elles s’accrochent à une tige de plante et émergent. Elles sortent alors de leur exuvie (exosquelette larvaire) sous la forme adulte. C’est un moment critique pour l’insecte, son corps et ses ailes sèchent pour devenir rigides, il est donc très vulnérable aux prédateurs. La vie d’adulte ne dure que quelques semaines, le but ultime étant la reproduction. L’insecte se nourrit alors sans arrêt jusqu’à l’atteinte de la maturité sexuelle puis s’accouple pour poursuivre son cycle de vie (9).

Références :

(1) E.H. Strickland Entomological Museum, Entomology Collection, Aeshna eremita, University of Alberta, [En ligne]. http://entomology.museums.ualberta.ca/hierarchy/index.php?fmsn=aeshna+eremita&vw=1&sb=1&r=1&o=1&c=1&s=24322&sn=Aeshna+eremita&cat=24322 (consulté le 25 octobre 2014)

(2) Lagacé, D., et Pilon, J.G.. (1998). Les Odonates du Québec. Entomofaune du Québec (EQ) inc., Chicoutimi, Québec. 367 pages. Pages 38-39, 60-64.

(3) Robert, A. (1963). Les Libellules du Québec. Service de recherche du Ministère de la Chasse et des Pêches du Québec. 223 pages. Page 101.

(4 ) Ministry of Environment. British Colombia. [En ligne]. http://www.env.gov.bc.ca/wld/documents/odonates/IO_AESERE.pdf (consulté le 25 octobre 2014).

(5) Robert, A. (1957). Les principales libellules du Québec. Le jeune naturaliste. 1ère partie. 28 pages. Pages 214, Pages 216-219.

(6) Paulson, D.R. (2009). Dragonflies and Damselflies of the West. 528 pages. Page 214

(7) Pritchard, G. (1965). Prey capture by dragonfly larvae (Odonata; Anisoptera).Canadian Journal of Zoology43(2), Pages 271-289. [En ligne]

(8) Pritchard, G. (1964). The prey of adult dragonflies in northern Alberta. The Canadian Entomologist96(06), Pages 821-825. [En ligne]

(9) Silsby J. (2001). Dragonflies of the world. 208 pages. Pages 12-26.