Phyciodes cocyta (Cramer 1777)

Phyciodes cocyta (Cramer 1777)

Le croissant nordique

Par Jonathan CHARRON et Frédérique ELÉMENT

 

Classification

Ordre : Lepidoptera

Famille : Nymphalidae

Sous-famille : Nymphalinae

Genre : Phyciodes

Espèce : Phyciodes cocyta (Cramer 1777)

Nom vernaculaire : Croissant nordique

Jonathan Charron a pris cette photo.
Figure 1. Lieu de capture du spécimen : bétulaie blanche à peupliers, près du Lac Croche, à la Station de Biologie des Laurentides. Présence de nombreux asters.

Le spécimen a été capturé le 1er septembre 2016 à la Station de biologie des Laurentides (SBL) de Saint-Hyppolyte grâce à un filet à insectes (voir Figure 1). Puisqu’il a une trompe et des écailles sur les ailes, il s’agit d’un papillon, qui fait partie de l’ordre des lépidoptères. Il existe une terminologie propre à leur anatomie qui sert à l’identification.

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Figure 2. Régions des ailes délimitées approximativement sur le spécimen à l’étude

Les ailes des papillons peuvent être divisées en plusieurs parties. Les ailes antérieures sont dites primaires et celles plus près de l’abdomen sont dites secondaires. La section la plus extérieure de l’aile (1 sur la Figure 2) est dite marginale, car elle est située près de la marge. La région 2, nommée submarginale, est plus proximale . La 3, dite post-médiane, médiane ou centrale, se trouve entre la fin de la zone 3 et la zone très foncée à la base de l’aile. Il faut aussi souligner que l’extrémité supérieure des ailes primaires est définie comme l’apex (Handfield, 1999 ; Prévost et Veilleux, 1976).


Morphologie et identification

L’identification d’un papillon est plutôt facile à faire en comparaison avec d’autres ordres taxonomiques ayant des différences beaucoup moins évidentes.

Les papillons de la famille des Nymphalidae sont faciles à reconnaître par leurs pattes antérieures trop courtes pour servir à la marche (voir Figure 3). Ces appendices sont toutefois utiles comme organes sensoriels (Le Tirant et Leboeuf, 2012 ; Prévost et Veilleux, 1976). Ils ne marchent donc qu’avec quatre de leurs pattes. Ils ont également une teinte orangée, comme le fameux Monarque (Danaus plexippus), un vol rapide et habile, des chenilles ainsi que des chrysalides épineuses.

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Figure 3. Les pattes atrophiées du spécimen de la famille des Nymphalidae capturé à la SBL

Les papillons du genre Phyciodes, sont caractérisés par une tache sur leurs ailes rappelant un croissant de lune, ce qui explique le nom vernaculaire de « croissant ». Ils volent généralement par intermittence, alternant entre une période de battements suivie d’une période où ils planent près du sol. Ce vol particulier permet de distinguer les espèces de ce genre de celles des autres papillons aux teintes orangées.

Les ailes des lépidoptères sont recouvertes d’écailles composant des motifs très diversifiés grâce à une gamme de millier de teintes possibles (Prévost et Veilleux, 1976). C’est donc à l’aide des planches en couleur du Guide d’identification des papillons du Québec de Handfield (2011) qu’il a été possible de réduire nos recherches à trois espèces du genre Phyciodes ; P. tharos (ou croissant perlé), P. cocyta (ou croissant nordique) et P. batessi (ou croissant fauve).

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Figure 4. Massue orange du spécimen qui ont été perdues durant la conservation

Pour départager les trois espèces, dont les ailes sont parfois variables selon le sexe du papillon et le moment de sa naissance durant la saison, il a fallu regarder la couleur des massues, qui est la boule au bout des antennes typique des papillons de jour. Le spécimen n’est pas un croissant perlé (P. tharos), car ses massues sont partiellement orange (voir Figure 4) alors que celles des croissants perlés ne le sont pas du tout. Aussi, P. tharos n’est présent au Québec qu’en Ouataouais, alors que la capture à eu lieu dans les Laurentides. Il ne s’agit pas non plus du croissant fauve (P. batesii) à cause des massues orangées du spécimen et du dessous des ailes qui est quasi uniformément jaune chez ce dernier, tandis que celui du spécimen est orange ou brunâtre à certains endroits. De plus, les ailes primaires se distinguent des ailes secondaires, plus pâles (voir Figure 3). La partie la plus foncée est de couleur chamois ou rouille et se situe dans le bas des ailes secondaires, plus précisément dans la région submarginale (région 2 de la Figure 2), où se trouve la tache en croissant de lune. Le spécimen capturé est donc un P. cocyta. Il est intéressant de noter que le P. batesii est beaucoup plus rare au Québec que le P. cocyta. (Handfield 1999-2011 ; Le Tirant et Leboeuf, 2012).

Il s’agit d’une femelle, car ses ailes primaires comportent davantage d’écailles noires que celles des mâles. Par ailleurs, les ailes secondaires sont pourvues d’une ligne noire post-médiane presque continue (voir région 3 Figure 2). Cette même zone est orange chez les mâles. Chez P. batesii, la région post-médiane est à l’image de celle des P. cocyta femelles. Cette ressemblance explique que les femelles de P. cocyta soient parfois méprises pour des P. batesii dans les collections, ce qui donne l’impression que le P.batesii est plus commun qu’il ne l’est réellement (Handfield 1999 ; Le Tirant et Leboeuf, 2012).

Cependant, les trois espèces de Phyciodes se ressemblent énormément et tendent toutes à varier. Ce n’est que très récemment que P. cocyta et P. tharos on été divisées en deux espèces distinctes, à cause de leurs ressemblances. Même le genre du spécimen en question pourrait être remis en question, car les femelles du croissant nordique ont généralement les massues noires et sont encore plus sujettes à confusion avec leurs cousins du même genre. De plus, les espèces communes comme P. cocyta sont rarement capturées en fin de saison. (Hanfield, 1999).


Biologie et comportement des Phyciodes

Photo prise par Jonathan Charon
Figure 5. Plante du genre aster en floraison. Photo prise à la SBL

Comme il a été question plus tôt, Phyciodes montrent un vol particulier : ils alternent entre le battement des ailes et le planage. Cela permet de les différencier facilement des autres papillons orange.  Ils apprécient particulièrement le nectar des asters, sur lesquels grandissent et se nourrissent aussi les larves (Handfield, 2011). Les mâles passent la journée à voler autour des plantes hôtes à la recherche de femelles avec qui s’accoupler. Ils sont plutôt territoriaux et n’hésitent pas à se montrer agressifs pour se défendre. Les femelles pondent leurs oeufs en paquets sur la face inférieure des feuilles des asters. Le nombre d’oeufs peut varier selon les espèces : il est d’environ 40 chez Phyciodes cocyta. Elles passent beaucoup de temps à sélectionner la plante qui est en meilleure santé afin de donner plus de chances de survie à leurs progéniture. Les chenilles hibernent à leur troisième stade larvaire (Scott, 2007).  Les croissants nordiques ont deux générations au cours de l’année : la première apparaît au début et de l’été et la deuxième à l’automne (Prévost et Veilleux, 1976).

Comme tous les lépidoptères, les Phyciodes sont des insectes holométaboles. Leur cycle de vie comprend donc plusieurs stades larvaires suivis du stade nymphal, constitué de la chrysalide (Anderson, 1972). La chenille de Phyciodes cocyta est de couleur sombre et se tient en groupe sur les feuilles d’asters, sur lesquelles elle se nourrit. C’est également sur ces plantes qu’elle forme sa chrysalide qui lui permet de faire sa nymphose (Scott, 2007).


Habitat et distribution

Le croissant nordique, comme son nom l’indique, a une distribution plus nordique que la plupart des autres espèces de Phyciodes. On le retrouve dans le sud du Québec, mais il se rend jusqu’à la Baie James. Il occupe des habitats variés, comme les champs, les forêts et le bord des ruisseaux, appréciant les endroits ouverts, où il a souvent beaucoup de fleurs (Handfield, 2011).

L’analyse de l’ADN mitochondrial des différentes espèces de Phyciodes a permis de modéliser une distribution fiable de celles-ci, qui sont parfois confondues en raison de leur grande ressemblance. Les études ont révélé qu’on retrouve le croissant nordique dans le nord des États-Unis et dans la plupart des provinces du Canada. C’est une des seules espèces de Phyciodes que l’on retrouve dans l’est du Canada avec Phyciodes batesii, mais Phydiodes cocyta est trouvé davantage au nord (Wahlberg et al., 2003). Cependant, à Chibougameau, il y a une population qui montre un intérêt particulier, car elle est constituée de ces deux espèces (Handfield, 2011).


Les services que rendent les papillons aux Hommes

Les lépidoptères sont nombreux et sont faciles à capturer et à analyser. Ils sont donc utiles pour mener des études sur l’écologie et l’évolution (Boggs et al., 2003). Par ailleurs, il s’agit de pollinisateurs très efficaces. Les papillons sont souvent spécialisés dans la récolte du pollen d’un type de fleur en particulier (Faegri & Van Der Pijl, 2013). Ils visitent plusieurs fleurs, étant ainsi essentiels à la reproduction de nombreuses espèces de plantes. Comme nous l’avons vu, Phyciodes cocyta apprécie particulièrement les asters.

Les insectes, en entrent en contact avec l’étamine, le stigmate mâle d’une fleur, récoltent leur pollen qu’ils déposent sur une autre fleur (Kremet et al., 2004) . Le pollen demeure accroché accroché aux écailles des ailes des papillons (Cruden & Hermann-Parker) La pollinisation est extrêmement importante pour les être humains, car elle permet aux plantes de nos champs de se reproduire, nous permettant ainsi de nous nourrir (Zhang et al., 2007). Si les pollinisateurs disparaissent, la reproduction des plantes se verrait nettement diminuée, et certaines espèces pourraient même disparaître complètement, puisqu’elles ne possèdent souvent qu’un seul pollinisateur (Campbell & Reece, 2002).


Bibliographie

Anderson, D. T. (1972). Development of holometabolous insects. Counce, SJ, ed. Developmental Systems: Insects.

Boggs, C. L., Watt, W. B., & Ehrlich, P. R. (2003). Butterflies: ecology and evolution taking flight. University of Chicago Press.

Campbell, N. A., & REECE, J. B. (2012). Biologie, 4e édit. De Boeck Université, Bruxelles.

Cruden, R. W., & Hermann-Parker, S. M. (1979). Butterfly pollination of Caesalpinia pulcherrima, with observations on a psychophilous syndrome. The Journal of Ecology, 155-168.

Faegri, K., & Van Der Pijl, L. (2013). Principles of pollination ecology. Elsevier.

Handfield, L. (1999). Le guide des papillons du Québec (édition abrégée, vol. 1). Boucherville, Québec : Broquet.

Handfield, L. (2011). Le guide des papillons du Québec (édition revérifiée et corrigée). Saint-Constant, Québec : Broquet.

Kremen, C., Williams, N. M., Bugg, R. L., Fay, J. P., & Thorp, R. W. (2004). The area requirements of an ecosystem service: crop pollination by native bee communities in California. Ecology letters, 7(11), 1109-1119.

Leboeuf, M. et Le Tirant, S. (2012). Papillons et chenilles du Québec et des maritimes (1ère éd.).

Waterloo, Québec : Éditions Michel Quintin.

Prevost B. et Veilleux, C. (1976). Les papillons du Québec (1ère édition). Montréal, Québec : Les Éditions de l’Homme.

Scott, J. A. (2007). Biology and systematics of Phyciodes (Phyciodes). Papilio. New Series; no.7.

Wahlberg, N., Oliveira, R., & Scott, J. A. (2003). Phylogenetic relationships of Phyciodes butterfly species (Lepidoptera: Nymphalidae): complex mtDNA variation and species delimitations. Systematic Entomology, 28(2), 257-274.

Zhang, W., Ricketts, T. H., Kremen, C., Carney, K., & Swinton, S. M. (2007). Ecosystem services and dis-services to agriculture. Ecological economics, 64(2), 253-260.