Nymphalis antiopa (Linné 1758)

Nymphalis antiopa (Linné 1758)

Par Anaïs BOA et Francis LETENDRE (édité par Étienne Normandin)

Texte et photographies ©2015 CC BY-SA 4.0, les auteurs

photo générale
Nymphalis antiopa capturé en vol à l’aide d’un filet à papillon le 3 septembre 2015 à la station Biologie des Laurentides à proximité du lac Triton

1) Identification du spécimen et morphologie externe

Du fait de leur beauté en grande partie liée à leur explosion de couleur, les lépidoptères constituent le deuxième ordre d’insecte le plus connu avec 180 000 espèces décrites actuellement dans 126 familles. Ils se distinguent principalement des autres insectes par la présence d’écailles ou soies aplaties recouvrant la majorité du corps, en particulier les ailes. D’où le nom de l’ordre lepidoptera du grec « lepidos » signifiant écailles et « pteron », ailes. Ces écailles offrent une multitude de couleurs grâce aux pigments retrouvés à l’intérieure ou au phénomène de diffraction de la lumière sur ces écailles permettant alors d’identifier de nombreuses espèces.

De nombreuses tentatives ont été entreprises afin de diviser les lépidoptères en plusieurs groupes fondamentaux au niveau des taxons supérieurs aux superfamilles si bien que de nos jours ces divisions ne font pas unanimité. Néanmoins, en se basant sur la classification de Kristensen en 1984, les lépidoptères se divisent en quatre sous-ordres dont le plus diversifié en nombre d’espèces est le sous-ordre Glossata auquel appartient notre spécimen. En effet, il se caractérise par la spécialisation des pièces buccales de type suceur chez l’adulte, sous forme d’une longue trompe flexible et enroulée en spirale provenant de l’élongation des galeas des maxilles. Les autres pièces buccales sont atrophiées ou absentes à l’exception des palpes labiaux qui sont souvent présents.

Kristensen divise ensuite les Glossata en quatre infra-ordres dont celui des Heteroneura qui contient 99% des lépidoptères de l’ordre des Glossata. Il se caractérise par une différence au niveau du nombre de nervures ainsi que leur disposition entre les deux paires d’ailes avec un nombre plus faible pour les ailes postérieures. On observe notamment ce caractère chez notre spécimen affirmant ainsi son appartenance à l’infra-ordre des Heteroneura.

Vue côté dorsale vs vue côté ventral de notre spécimen

La présence d’antennes minces et terminées par un renflement en forme de massue ou de crochet de notre spécimen indique qu’il fait partie des rhopalocères, terme proposé par Duméril (1823) pour désigner les espèces diurnes dans lequel on retrouve deux superfamilles dont celle des « vrais papillons », les Papilionoidea. Leurs ailes sont plus colorées au-dessus qu’en dessous et les couleurs de l’aile primaire se prolongent généralement sur l’aile secondaire.

De plus, notre spécimen possède deux paires de pattes postérieures qui sont relativement bien développées par rapport aux pattes antérieures. Or, cette particularité d’avoir la paire de pattes antérieures atrophiée est le caractère qui définit la famille des Nymphalidae. Les papillons de cette famille ne marchent donc que sur leurs pattes méso et méthatoraciques tandis que les pattes prothoraciques servent à des fonctions sensorielles.

Capture annotée
Photographie prise à proximité du Pic du Midi dans les Pyrénées Française à une altitude de 1500m environ par Bernard ANE (utilisée avec permission) de Nymphalis antiopa sur un chardon et annotée par les auteurs ci-présents.

De plus, le mimétisme est commun à cette famille pour de nombreuses espèces du genre Nymphalis. En effet, en repliant leurs ailes les unes contre les autres,  elles laissent paraître leurs vues ventrales qui ont l’aspect de feuilles mortes, du mimétisme fort utile pour se cacher des prédateurs.

Photo profilPour finir, le patron très particulier de couleur des ailes de notre spécimen nous permet facilement de le reconnaître parmi les espèces du genre Nymphalis. Il s’agit donc de l’espèce Nymphalis antiopa plus connu sous le nom de Morio. La face dorsale laisse apparaître une livrée uniforme des ailes, d’un brun violacé. Les ailes sont dentelées et couvertes à l’extrémité d’une lignée submarginale de points bleu ciel, puis d’une frange jaune. La face ventrale est brun foncé mouchetée avec une bordure pâle. Ainsi, on ne peut le confondre avec aucune autre espèce en raison de la bordure jaune des ailes en face dorsale qui constitue un caractère hautement distinctif.

2) Classification

Identifié pour la première fois par Linné en 1758, on retrouve la classification suivante pour Nymphalis antiopa :

Règne : Animalia

Embranchement : Arthropoda

Classe : Insecta

Ordre : Lepidoptera

Sous-ordre : Glossata

Infra-ordre : Heteroneura

Super-famille : Papilionoidea

Famille : Nymphalidae

Sous-famille : Nymphalinae

Tribu : Nymphalini

Genre : Nymphalis

Espèce : Nymphalis antiopa (Linaeus 1758)

3) Habitat et aire de répartition

Attiré par la sève s’écoulant des arbres meurtris, Nymphalis antiopa fréquente les bois clairs et terrains ouverts, souvent dans les collines et montagnes. On le retrouve également à proximité des ruisseaux bordés de cerisiers et de saules. C’est notamment au bord du lac Triton dans la station biologie des Laurentides que notre spécimen fut capturé en vol à l’aide d’un filet à papillons. Il est rapide, mais se pose souvent et toujours aux mêmes endroits avec une préférence pour les saules, ormes, peupliers et bouleaux comme plantes hôtes sur lesquelles les œufs vont être pondus. Enfin, on peut également le retrouver dans les parcs et jardins urbains du fait de sa polyvalence à l’égard des plantes hôte.

En ce qui concerne sa répartition géographique, le morio vole dans la plupart des régions du Canada. Au nord, il se rencontre jusque dans la toundra, dans les monts British au Yukon, au lac Setidgi dans les Territoires du Nord-Ouest et à Inukjuak (Port Harrison) au Québec. Vers le sud, il atteint le nord de l’Amérique du Sud. Il est également largement répandu en Eurasie et dispersé dans une grande partie de l’Europe, de l’ouest jusqu’en Asie de l’Est mais est absent de la majeure partie de l’Espagne.

4) Biologie de l’espèce

Nymphalis antiopa fait partie du groupe monophylétique des endoptérygotes, aussi connus sous le nom des holométaboles. Une des caractéristiques importantes qui décrit ce groupe est celle d’un cycle de vie complet, autrement dit la métamorphose complète. Celle-ci, contrairement à la métamorphose incomplète, comporte un stade de transition entre le stade larvaire et adulte. La présence de plusieurs stades de développement permet la division des tâches tout au long de la vie du papillon. En effet, le papillon est plutôt chargé de la reproduction alors que la chenille a pour rôle de se nourrir et grandir.

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Ponte des oeufs de Nymphalis antiopa sur une branche d’arbre. Image d’André Lequet, utilisée avec permission.

Le cycle de vie du Morio débute lorsque l’œuf éclôt. La femelle peut pondre jusqu’à 200 œufs, les déposant soigneusement en agrégats autour des tiges de peuplier ou de saule. Les chenilles du Morio, parfois appelées aussi « épineuses de l’orme », sont au départ réunies dans un nid de soie et vont vivre en colonie tout au long de leur développement jusqu’à la 5ème mue. Les quatre premières mues de la chenille ont pour fonction d’augmenter la taille de celle-ci. Par un processus d’ecdysie, la larve sort de sa cuticule faite de chitine plus ou moins rigide, lui permettant ensuite d’augmenter en taille et de se créer une nouvelle enveloppe. La chenille du Morio est reconnaissable par sa livrée noire ou grisâtre parsemée de petits points blancs. Sur son dos se remarque une ligne de points rouge orangé interrompue ainsi que de longues épines noires.

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Chenille de Nymphalis antiopa (image dans le domaine public)

 

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Colonie de chenilles de Nymphalis antiopa. Image d’André Lequet, utilisée avec permission.

À la cinquième mue, la chenille du Morio atteint sa taille maximale, elle est alors prête pour sa métamorphose. Elle produit une chrysalide lors du processus que l’on nomme la nymphose, soit le passage entre la larve et l’adulte. La chenille se suspend alors à une branche ou un brin d’herbe avec un fil de soie qu’elle produit et entreprend sa métamorphose durant une période d’environ deux semaines. À la fin de la nymphose, l’insecte qui sort de la chrysalide n’est plus une chenille, mais bien le papillon sous sa forme adulte. Les mâles du Morio vont alors patrouiller leur territoire à la recherche de femelles pour se reproduire.

Capture aile
Aile antérieure à l’extrémité jaune flagrante de notre spécimen

La plupart des papillons ne vivent que de quelques jours à quelques semaines. Cependant, l’espèce Nymphalis antiopa est très spéciale en ce qui à trait à sa longévité, car elle peut vivre jusqu’à dix ou douze mois. En effet, elle entreprend un processus appelé la diapause, qui consiste à diminuer de façon importante ses activités métaboliques. Un processus comme celui-ci permet aux papillons vivant dans les zones plus froides de survivre à l’hiver. Les adultes du Morio qui hivernent (creux d’un arbre ou tas de bois) tolèrent le froid au moyen de molécules chimiques d’antigel (glycérol) dans leur sang. Cette hivernation au stade adulte leur permet donc de ne pas devoir entreprendre de longue migration, l’avantageant  énormément à l’arrivée du printemps. On attribue alors au Morio l’épithète familière de « harbinger of spring » ou signe avant-coureur du printemps comme étant l’un des premiers papillons à apparaître au printemps. On peut distinguer les papillons ayant passés l’hiver- donc entrepris le phénomène de diapause des jeunes papillons par un changement de couleur de la bordure extérieure des ailes.  En effet, elle passe d’un jaune brillant pour les nouveaux papillons à un jaune très pâle ou même blanc pour ceux ayant effectués la diapause. Ainsi, en observant la couleur de la bordure des ailes du spécimen capturé, il est possible de conclure qu’il s’agit d’un juvénile n’ayant pas encore vécu l’hiver, car la couleur est d’un jaune assez flagrant.

5) Conservation

En Amérique du Nord, l’espèce Nymphalis antiopa n’est pas en danger, elle n’est n’est donc pas protégée. Cependant, en 1963, le gouvernement du Canada a désigné la chenille du Morio comme étant une espèce ravageuse des arbres à feuilles décidues. En revanche, en Europe (Autriche et Suisse), le Morio est désigné comme étant en danger et jouit donc d’un statut de protection dans ces pays. Enfin, en Île-de-France, il est considéré comme rare et protégé en raison de l’urbanisation grandissante et de la disparition des milieux naturels.

Références : 

1- Articles :

2- Livres :

  • Cech, R. et G., Tudor, 2005. Butterflies of the east coasy. Princeton and oxford, Angleterre : Princeton university press.
  • Forey, P. et S., Mc Cormick, 1992. Les papillons. Édition Gründ : un guide pratique pour identifier facilement 117 papillons.
  • Gullan, P.J. et P.S., Cranston, 2014. The Insects : an Outline of Entomology, fifth edition. John Wiley & Sons : Wiley Blackwell.
  • Leboeuf, M. et S., Le Tirant, 2012. Papillons et chenilles du Québec et des maritimes. Québec, Canada : Éditions Michel Quintin.
  • Scoble, M.J., 1992. The lepidoptera : form, function, and diversity. Angleterre : Oxford university press.
  • Scott, J.A., 1986. The butterflies of north america. Stanford, California : Stanford university press.
  • Veilleux, C. et B. Prévost, 1976. Les papillons du Québec. Montréal, Canada : Les éditions de l’homme.

3- Sites internet :