Stictocephala bisonia (Kopp et Yonke 1977)

Stictocephala bisonia (Kopp et Yonke 1977)

aussi communément appelé « cérèse buffle » ou « buffalo treehopper »

par Léo TREMBLAY-MIMOUNI et Alexandra KACK

Photographies prises par Léo Tremblay-Mimouni ©2016 CC BY-SA 4.0

Stictocephala bisonia
Photo 1. Spécimen capturé à l’aide d’un filet fauchoir le 1er septembre 2016 sur le chemin menant au Lac Croche à la Station de Biologie des Laurentides, Québec, Canada.

Règne : Animalia

Phylum : Arthropoda

Classe : Insecta

Ordre : Hemiptera

Sous-ordre : Auchenorrhyncha

Famille : Membracidae

Sous-famille : Membracinae

Genre: Stictocephala

Espèce: Stictocephala bisonia (Kopp & Yonke 1977) [1]

Identification

Les antennes raccourcies et les ailes très caractéristiques se repliant en forme de toit démontrent l’appartenance de Stictocephala bisonia au sous-ordre Auchenorrhyncha. Cet insecte est doté d’un organe de son que la majorité des espèces de cet sous-ordre possède. Cette caractéristique est mieux connue chez les cigales car le son qu’elles émettent est audible pour l’homme. Cependant, comme le son émis par les Membracidae est inaudible par l’oreille humaine, comme chez S. bisonia, cette spécificité est donc souvent mise de côté pour l’identification [2].

La caractéristique morphologique flagrante qui différencie les Membracidae des autres familles est la taille du pronotum qui s’étend jusqu’à l’arrière de l’abdomen. Ce pronotum allongé couvre les ailes et se termine en fine pointe jusqu’au bout de l’abdomen [3] (photographie 2). Pour beaucoup d’espèces de cette famille, le pronotum s’étend aussi sur la tête donnant ainsi une apparence d’épine à l’insecte, comme c’est le cas de S. bisonia. C’est en autre grâce à cette apparence singulière que cette famille reçoit beaucoup d’attention du public et de la communauté scientifique malgré sa petite taille et son appartenance aux Hemiptères, ordre contenant plus de 100 000 espèces. L’utilité adaptative de cette spécificité est un sujet de débat dans la communauté scientifique. Plusieurs hypothèses sur son origine et sa fonction ont été proposées, mais aucune n’explique de façon satisfaisante le bénéfice évolutif qu’aurait eu les Membracidae à évoluer vers une distinction morphologique aussi diverse que grotesque.

Pour ce qui est pour la suite de l’identification au genre et à l’espèce de notre individu, nous nous sommes fiés aux différentes images de la base de données que nous avons utilisé pour l’identification [1], ainsi qu’à ces cornes particulières lui donnant un aspect de bison d’Amérique (d’où son épithète bisonia) que nous sommes parvenus à l’identifier correctement.

À noter que Funkhouser (1917), Kramer (1950) et Hasenoehrl et Cook (1965) avaient tous confondu différentes espèces avec S. bisonia, et ce n’est qu’en 1977 par Kopp et Yonke que S. bisonia a été correctement identifiée et distinguée à partir des recherches faites par Fabricius (1794) sur la autrefois nommée Ceresa bubalus [4]. Toutefois, comme mentionné sur la page d’Entomofaune de l’Université du Québec à Chicoutimi, le nom de l’espèce ne fait pas le consensus à savoir s’il s’agit d’un synonyme de Stictocephala alta ou s’il s’agit d’une espèce distincte [5]. Nos recherches nous portent à croire que, de nos jours, le terme S. bisonia est plus couramment utilisé.

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Photo 2. Pronotum de S. bisonia indiqué en rouge

Morphologie

Stictocephala bisonia a une taille variant de 6 à 8mm à maturité. D’un vert éclatant et tacheté de petits points verts pâles, le pronotum proéminent de S. bisonia se caractérise par sa forme triangulaire dont deux des pointes disposés de part et d’autre de la tête donne à l’insecte l’apparence d’une épine. Ce pronotum est composé en général de cellules adipeuses et d’hémolymphe [6]. Cette composition peu spécifique donne lieu à de nombreuses hypothèses quant à l’origine et la fonction propre de cette apomorphie : mimétisme, réserve, protection, défense, camouflage, etc.

Il est possible d’observer d’autres sous-famille de Membracidae démontrant de nombreuses variantes de ce pronotum modifié. Certaines espèces du genre tropical Bocydium présente un pronotum ressemblant au champignon parasitique Ophiocordyceps fungus. Ce dernier infecte une fourmi par la tête, s’y développe et puis perce l’abdomen de ses spores. Par conséquent, Bocydium, par mimétisme, apparaîtrait comme une proie non comestible aux yeux des prédateurs [7] (photographie 3).

Un autre Membracidae, Cyphonia clavata, démontre une étonnante ressemblance à une fourmi. En effet, l’entièreté de son pronotum est modifiée pour ressembler à une fourmi s’apprêtant à passer à l’attaque. De couleur noire se démarquant du vert habituel retrouvé chez la majorité des Membracidea, ce pronotum sert également de camouflage mimétique permettant à C. clavata d’éloigner les prédateurs sans avoir à développer un mécanisme de défense actif [7] (photographie 4).

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Photo 3. Pronotum en forme de champignon chez Bocydium © Michel Boulard [8] CC BY-SA 4.0
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Photo 4. Pronotum en forme de fourmi chez Cyphonia clavata © Graham Wise [9] CC BY 2.0

Les ailes des Auchenorrhyncha sont membraneuses. La paire mésothoracique est transparente avec une légère teinte brunâtre et les ailes métathoraciques sont absentes de coloration. Elles ne possèdent pas de nervures terminales. Il y a aussi une différence de taille entre les deux paires d’ailes, les ailes postérieures étant plus petites [10] (photographie 5).

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Photo 5. Ailes membraneuses de S. bisonia

Répartition géographique

Étant une des familles d’Hémiptères les plus diversifiées en Amérique du Nord, les Membracidae rassemblent à eux seuls plus de 1600 espèces natives en territoire nord-américain, ainsi que quatre espèces natives en Europe. S. bisonia est une espèce native d’Amérique du Nord, située plus particulièrement sur la côte est des États-Unis et du Canada, ainsi qu’au centre des États-Unis.  Toutefois, comme noté pour la première fois en 1912 par Horvath, S. bisonia a été introduite en Europe et a été remarquée un peu partout depuis; elle a également été notée en Asie centrale (voir Carte 1). Cette invasion peut être probablement expliquée (bien que pas tout à fait confirmée) par son mode de vie parasitoïde [11].

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Répartition géographique de Stictocephala bisonia © Discover Life and original sources [12] CC BY-SA 4.0

Écologie 

Tel que mentionné précédemment, S. bisonia a un mode de vie parasitaire. En effet, avant d’atteindre son stade adulte, cet insecte doit parasiter deux hôtes différents : une plante ligneuse et une plante herbacée. La ponte s’effectue une fois par année à l’intérieur d’arbres comme les pommiers, pêchers, peupliers et saules.  Munies d’un puissant ovipositeur, elles peuvent transpercer l’écorce où elles pondent au-delà d’une centaine d’œufs. Le développement de l’œuf est hivernal et la larve émerge entre avril et mai. Après l’émergence de celle-ci, elle se déplace vers une plante herbacée comme la luzerne ou le trèfle rouge où elle se nourrit de leur parenchyme. L’adulte est un phytophage non spécifique qui a une tendance à s’attaquer aux arbres fruitiers. C’est ce stade du cycle de vie qui rend S.bisonia particulièrement néfaste pour les vergers.

En effet, elle est considérée comme une peste en Amérique du Nord et en Europe. En plus de son mode de vie parasitaire, S.bisonia peut transmettre des phytoplasmes – bactéries se multipliant dans le phloème – qui causent diverses infections comme la prolifération du pommier. Cette maladie a été reportée dans des vergers de Serbie, mais les chercheurs hésitent encore à identifier S.bisonia comme vecteur potentiel. Polynema striaticorne est une espèce d’Hyménoptère parasitoïde de la superfamille Chalcidoidea, un groupe reconnu pour parasiter les œufs de S.bisonia. En provenance des Étas-Unis, P. striaticorne a été introduite avec succès dans la région de Piedmont en Italie comme agent de lutte biologique dans le but de contrôlé l’infestation de S.bisonia qui sévissait dans la région. Les résultats ont été positifs: la population a finalement pu être contrôlée et la guêpe s’est répandue dans plusieurs pays voisins sans devenir à son tour une peste sérieuse. Cette élimination contrôlée est due à la spécificité des guêpes parasitoïdes en ce qui a trait à l’hôte parasité. Cette particularité est un élément clé de la lutte biologique et, sous supervision, peut s’avérer être un outil efficace et peu coûteux [11].


Références

[1] McLeod, Robert. 2005. « Species Ceresa alta – Buffalo Treehopper ». Bug Guide, page consultée le 2 novembre 2016. URL: http://bugguide.net/node/view/10017

[2] Hunt, Randy E. 1994. « Vibrational signals associated with mating behavior in the treehopper, Enchenopa binotata Say (Hemiptera: Homoptera: Membracidae) ». Journal of the New York Entomological Society, 102(2), 266-270.

[3] The Editors of Encyclopaedia Britannica. Encyclopaedia Britannica. s.v. « Treehopper ». Consultée le 2 novembre 2016. URL : https://www.britannica.com/animal/treehopper#ref120175

[4] Stegmann, Ulrich E. 1997. « Revaluation of the prothoracic pleuron of the membracidae (Homoptera): The presence of an epimeron and a subdivided episternum in Stictocephala bisonia Kopp and Yonke, Oxyrhachis taranda (Fabr.), and Centrotus cornutus (L.) ». International Journal of Insect Morphology and Embryology, 26(1), 35-42.

[5] Pilon, Claude (édimestre). 1988-2016. « Membracides – Liste des espèces ». Entomofaune du Québec, page consultée le 2 novembre 2016. URL: http://entomofaune.qc.ca/entomofaune/membracides/membracides_liste.html

[6] Stegmann, Ulrich E. 1998. « An exaggerated trait in insects: The prothoracic skeleton of Stictocephala bisonia (Homoptera: Membracidae) ». Journal of Morphology, 238(2), 157-178.

[7] Simon, Matt. 2014. « Absurd Creature of the Week: This is an Actual Insect. This is not a Joke. » Wired, page consultée le 2 novembre 2016. URL: https://www.wired.com/2014/12/absurd-creature-of-the-week-treehopper/

[8] Encyclopedia of Life. s.v. « Bocydium ». Consultée le 2 novembre 2016. URL: http://eol.org/data_objects/12685866

[9] Wikipedia. s.v. « Cyphonia clavata ». Consultée le 2 novembre 2016. URL: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cyphonia_clavata_(17208896570).jpg

[10] Bourbonnais, Gilles. 2014. « Hémiptères », cours d’Entomologie. Sainte-Foy: Cégep de Sainte-Foy.

[11] Świerczewski, Dariusz & Stroiński, Adam. 2011. « The first records of the Nearctic treehopper Stictocephala bisonia in Poland (Hemiptera: Cicadomorpha: Membracidae) with some comments on this potential pest ». Polish Journal of Entomology/Polskie Pismo Entomologiczne, 80(1), 13-22.

[12] Encyclopedia of Life. s.v. « Stictocephala bisonia ». Consultée le 1er novembre 2016. URL: http://eol.org/pages/3681980/overview